La résistance dans le Calvados et le Bessin : présentation

  • Une présence locale
La résistance dans le Calvados, comme dans le Bessin, ne représentait, comme partout en France, qu'une faible proportion d'habitants (3 pour 1000). Certains  secteurs se sont révélés très actifs comme  Villers Bocage ou  comme  le futur "Omaha Beach" (Saint Laurent sur Mer / Vierville) rare secteur littoral, avec de petits villages, situé en "zone côtière interdite" où l'on trouvait  une activité de résistants, en nombre relativement important: 5 personnes d'après les fichiers de J Quellien, universitaire et spécialiste de la résistance. 


La circulation est libre à l’intérieur de la zone côtière pour les personnes domiciliées ou demeurant depuis au moins trois mois dans la zone côtière interdite.
Pour les autres, une autorisation établie sous forme de laisser-passer, accordée en cas de besoins administratifs et économiques urgents, et, en principe, qu’à des Français.



Le concept de "résistance" a évolué dans le temps, aussi elle n'a pas un aspect uniforme, cela va des initiatives individuelles aux groupes plus ou moins organisés et évolutifs selon la répression allemande. Toutefois, les divers groupes de résistance ont tous été spécialisés dans le renseignement, une activité fondamentale sur un espace côtier  dont les services anglais veulent connaître toutes les activités et implantations de l'ennemi.
  • D'abord, la "résistance civile"
La résistance à l’occupant apparait précocement dans le Calvados, toutefois il s'agit, dés 1940, de montrer son hostilité à l'encontre de l'occupant, il s' agit davantage d'une forme de "résistance civile" que d'une résistance organisée. La cohabitation entre la population civile et les soldats allemands se détériore avec  beaucoup de passivité et souvent de l'hostilité qui se manifeste par  des gestes peu aimables, injures, affiches déchirées, parfois  des menaces, des coups. On ne  porte pas d'aide  à des allemands en difficulté (un navire qui coule, un accident sur la route...), on n'assiste pas aux manifestations (théâtre, concerts, cinéma) organisés par l'occupant, on cache ses armes et ses munitions malgré l'interdiction. Même le clergé s'en mêle qui fait sonner les cloches à l'heure française ou  réalise des sermons anglophiles qui invitent " à prier pour la France et  son alliée". 

Certains actes isolés se terminent mal pour leur auteur  ainsi : 
-Tous les auteurs de "sabotage"  lorsqu'ls sont pris encourent la peine capitale. En août 1940, Jules Becquemont, un ouvrier agricole, est arrêté alors qu’il sectionne des câbles téléphoniques : il sera le premier fusillé du Calvados, le 10 février 1941.  Leon Guezet arrêté en 1941 sera exécuté en janvier 1942, le jeune Georges Chandez âgé de 6 ans sera déporté en 1941.
-Le 11 novembre 1940, des étudiants, lycéens et collégiens observent une minute de silence devant le monument aux morts de la place Foch à Caen.
-le 11 mai 1941, on fête Jeanne d'Arc, "la résistante" à la cathédrale de Lisieux et en ville, à Caen. avec divers incidents. Le 14 juillet fleurissent rubans, bouquets tricolores et  habits qui juxtaposent  les trois couleurs.
-Les "V"  comme victoire son de plus en dessinés un peu partout ce qui amènera à élargir le couvre feu de 20H à 5H du matin et à fermer les cafés dès 19 heures.


  • Naissance de divers groupes dans le Calvados
Assez tôt (fin 1940) de véritables organisations de résistance se mettent en place dans le Calvados, il s'agit de petits groupes, qui, très vite,  se structurent en  groupes actifs bien implantés.
 
De plus la demande de renseignements  sur les positions côtières des troupes allemandes, du côté anglais, est très forte avec parfois des actions commandos (Saint Laurent sur Mer, le 12 janvier 1942), des transmissions via des pigeons voyageurs dont les allemands interdisent la possession, et la présence d'"agents dormants" de l'"Intelligence service" comme Jean Hopper et  Arthur Bradley  qui devint agent double au profit des allemands ! Egalement  le colonel Passy coopère avec les services britanniques en envoyant dans le Calvados des équipes pour effectuer des activités clandestines (Carpiquet).
 
Les premières organisations s'implantent  dés 1940 dans le Calvados :
-"le groupe Robert" : Fin 1940, par l'intermédiaire d'un agent britannique, Robert Guédon est mis en contact avec André Michel, peintre caennais qui dirige également un groupe de résistance à Caen. Les deux groupes agissent dès lors de concert.  Parallèlement, Robert Guédon prend contact à Paris avec le Colonel Heurteaux, chef du réseau Hector. Au final, le groupe Robert et le groupe d'André Michel intègrent le réseau Hector en mai 1941. 

-"l'armée des volontaires":  Au même moment, fin1940,  en liaison avec l'Intelligence Service, se forme à Caen sous l'impulsion de l'artisan couvreur René Vauclin et de sa femme Olvie  un groupe qui se rattache à l'"Armée des volontaires". Ce groupe se développe vite et  s'implante aussi dans le Bessin (Isigny, Port en Bessin et  Neuilly la forêt). Toutefois des dissensions politiques freinent le groupe, le sculpteur Robert Douin  le quitte en 1942  pour pour rejoindre "Alliance"

D'autres groupes se développent  tôt comme le "réseau Interallié" (ou F2)  surtout implanté dans la Manche, et, des  1940, des membres du Parti communiste,  forment un petit groupe de Résistance comprenant ouvriers et étudiants, surtout actif pour  distribuer des tracts et coller des affiches. Très surveillés,  beaucoup seront arrêtés, après l'invasion de l'URSS. Ensuite, les communistes se réorganisent  avec le "Front National" surtout implanté  à Caen pour réaliser des sabotages de voies ferrées.

  • L'organisation de la résistance
 A partir de  1942, alors que la guerre bascule,  la résistance dans le Calvados se développe et s'organise. D'après l'historien J Quellien, on passe ainsi quelques centaines de résistants  à environ 2500 personnes impliquées dans la résistance. Pour la période 1940-1944, l'historien J Quellien  dénombre  21 mouvements et 41 réseaux différents d'importance très inégale, beaucoup apparus depuis 1942. Les deux principaux mouvements pour leur  effectif sont  l'OCM et  le Front National.

En fait, il faut distinguer: 
    • Les réseaux sont liés aux services secrets basés à Londres. Ils sont spécialisés dans la collecte de renseignements, l’organisation de filières d’évasion et le sabotage. En raison de la position stratégique du Calvados, pas moins de 40 réseaux y sont dénombrés dont les plus importants sont :
      • Centurie :  service de renseignement français, créé en 1940 par le colonel Rémy et qui dépend de l'OCM. Il transmet des informations sur les troupes et les défenses allemandes.
      • Alliance surtout implanté dans le BessinRéseau de renseignement travaillant pour les Britanniques fondé dès 1940 par Georges Loustaunau-Lacau, fait prisonnier, il s'évade en août 1940 et décide de passer à l'action.  Marie-Madeleine Fourcade , alias "Hérisson", prend sa succession après son arrestation en juillet 1941, épaulée par  Jean Roger, alias "Dragon" ou "Sainteny". Ce dernier ayant   une résidence secondaire à Aignerville, dans le Bessin,  il  y implante et  développe dans le Bessin un réseau de résistance " Secteur Ferme" du réseau Alliance.
      • Zéro-France (sûreté de l’Etat belge) est fondé en 1940. Le secteur du Calvados créé en 1943 par A Lepeu se développe surtout dans le secteur de Dives-Cabourg.
      • Hector (France libre) : fin 1940, Robert Guédon, officier de carrière, implante le réseau de renseignement Hector, première organisation de résistance du Calvados,  avec de nombreux membres dans le Bessin dont  Albert Escolan, professeur, devient le chef de groupe. En octobre 1941, l'Abwehr porte un coup sévère au réseau Hector en arrêtant de nombreux membres. Les rescapés rejoindront d'autres organisations comme Alliance.
      • Arc-en-ciel (BCRA) fondé en 1942, il comprend la "Zone de feu", dirigé par Jean Héron en Normandie. Le réseau fait du renseignement et fabrique de nombreux faux papiers pour ses agents et les réfractaires au STO. Le réseau de Caen est démantelé, plusieurs membres seront fusillés le 6 juin 1944 à la prison de Caen.
      • Mithridate  créé en 1940 en France, et en 1943 dans le Calvados pour se consacrer  essentiellement au renseignement pour les anglais (Intelligence Service). Il comptera une trentaine de membres. A Bayeux c'est Marcel Alombard,  expert agricole,  qui est le responsable, spécialiste du renseignement sur le batterie de Longues
    • Les mouvements n’ont pas de liens formels avec Londres au moins jusqu’en 1943. Ils se distinguent par une activité importante de propagande et par les orientations politiques de leurs membres. Sur les 21 mouvements dénombrés dans le Calvados, les plus importants ont été :
      • L’Organisation civile et militaire (OCM) : créée en 1940 et majoritairement dirigée par des membres du Parti radical et  composée de nombreux officiers de réserve. Au printemps 1942, Marcel Girard  est chargé d'implanter cette organisation de Résistance en Normandie à Caen, il fait appel à ses anciens camarades de l'Armée des Volontaires.


         L'OCM est efficace et très structurée avec un responsable par canton (Jouin à Trévières), dirigée localement par Robert  Delente  (notaire) et Guillaume Mercader  (magasin de cycles) de Bayeux ; s'occupant essentiellement du renseignement, elle fournira de précieuses indications sur la pointe du Hoc grâce au groupe de Grandcamp de Jean Marion et A Farine. C'est également ce réseau qui a permis d'aider le rescapé du commando anglais "Aquatint" (Saint Laurent sur Mer) par l'intermédiaire de Madame de Brunville d'Asnières. Ce réseau  bien implanté dans le Bessin (Isigny, Grandcamp, Trévières, Littry...) a comme objectif le renseignement pour deux sites  : Batteries de longues et Pointe du Hoc.

      • Le Front national (FN): créé au niveau national par le Parti communiste au printemps 1941, représente un groupe important  implanté à Caen, près de la gare,  où existent de nombreuses caches. Il est présent à Bayeux avec des employés du rail autour d'Edouard Lefèvre, employé à la société d'Electricité.
        A noter que sa branche militaire, les Francs-Tireurs Partisans (FTP)  créée  en 1942 est peu implantée en raison de la  géographie du Calvados, peu propice au développement de maquis sauf dans sa partie sud avec en particulier  le maquis de Saint-Clair Clair près de Clécy et le maquis Guillaume le Conquérant à Vire.

      •  le Mouvement de Libération-Nord dirigé par M Fouque à Caen, dont les seuls représentant du Bessin furent les cousins Poitevin (dont Arthur, professeur de musique aveugle ! qui se promène sur le littoral accompagné d'un jeune garçon qui lui décrit ce qu'il voit.. Arthur mémorise tout...)

Les frontières entre les types d’organisation ne sont cependant pas figées. Certains peuvent appartenir à deux réseaux différents ; lorsque le réseau Hector est démantelé dans le Calvados en novembre 1941, les membres rescapés rejoignent divers autres groupes.
Pour le Bessin, on compterait 130 à 180 personnes membres actifs de la résistance dont  environ 37 pour Alliance.


  • Diverses actions mais  surtout le renseignement  
Ces équipes observent et transmettent des renseignements d'une grande précision, en effet quoi de plus naturel qu'un facteur en tournée qui n'hésite pas à discuter [se renseigner discrètement] avec les habitants ? De même qui se méfierait de ces braves pêcheurs qui jettent leurs filets face aux bunkers en construction? Enfin, qui se méfierait d'un aveugle qui se promène sur le littoral avec sa canne blanche ?

Toutefois si le renseignement représente l'activité principale, ses champs d'action furent nombreux mais ponctuels dans notre département en raisons de  sa spécificité :  une zone côtière "interdite" et la présence de 100 000 allemands pour une population totale de 400 000 personnes, rendant les actions particulièrement difficiles et héroïques.

Pourtant ces organisations ont aussi pratiqué
  • Sabotages et attentats, dont les plus emblématiques sont les attentats d’Airan des 16 avril et 1er mai 1942 ;
  • Réseaux d’évasion pour les aviateurs alliés (une centaine sera sauvée), les juifs persécutés ou encore les réfractaires au STO.  Ainsi G Hayes, membre du commando Aquatint (12 sept 1942 à St Laurent sur mer) qui fut le seul à pouvoir d'échapper fut aider par des membres du réseau OCM ( Madame de Brunville)  et du groupe "Jean Marie Buckmaster" ; malheureusement Hayes fut pris à Paris et fusillé en 1643.
  • Propagande et manifestations ainsi le réseau Hector publie le premier journal de résistance "Les petites ailes" diffusé sur Bayeux et diffuse des affichettes et des tracts.
  • Aide aux réfractaires du STO. Heureusement, Alexis Nicoals, gendarme à Bayeux membre d'OCM, indique qu"il néglige les ordres de recherches de réfractaires", son collègue Germain Le  Lefer agit de même d'autant qu'il connait des refuges de réfractaires ! Une aide précieuse.
  • Réalisation de faux papiers pour les résistants et les réfractaires au STO souvent réalisés par des instituteurs ( Couliboeuf) des secrétaires de mairie et des imprimeurs (Deslandes). 
  • Cache d’armes et parachutages : Le BOA (Bureau des Opérations Aériennes) est chargé d'organiser les parachutages avec le BRCA  (Bureau Central de Recherches et d'Action) de De Gaulle. Dans le Bessin, un seul terrain est homologué(N°22 nommé "Souris" puis "Brome".) Il est situé à 500 m au NE de Longueville ( à 18 km de Bayeux) mais a peu servi en raison de la proximité de la côte et du nombre important d'allemands présents.
  • Préparation de la Libération à partir de 1943 et missions dans le lignes  à partir du 6 juin 1944 : ce sont surtout des membres d'OCM qui participent à de dangereuses missions de renseignements à proximité des lignes ennemies.
  • Présence de maquis bien que la géographie du Calvados y soit très peu favorable sauf dans le sud (maquis de Saint-Clair  et le maquis Guillaume le Conquérant. ) : 


  • Le réseau Alliance : son rôle

La résistance locale du réseau Alliance n'a pas réalisé d'actes spectaculaires, le grand nombre d'allemands présents sur ce secteur côtier classé "zone interdite", l'explique, toutefois elle a agi avec beaucoup d'efficacité essentiellement au niveau du "renseignement" ce qui a grandement favorisé le succès du débarquement. En effet même si les alliés prenaient des vues aériennes du littoral ou envoyaient des commandos en reconnaissance (exemple, à Saint Laurent, le 18 janvier 42 puis le 12 septembre 1943, avec le désastre de l'opération "Aquatint"), cela ne suffisait pas : il fallait obtenir des renseignements très précis et actualisés. Ainsi Douin réalisa une carte gigantesque par ses dimensions et sa minutie


  • La répression
A partir de 1942 la répression se durcit. Jusqu’alors menée par la Wehrmacht, à l’été 1942, elle passe partiellement sous le contrôle de la Gestapo et de ses auxiliaires français « la bande à Hervé ».

Au début de l’Occupation, les exécutions constituaient la principale forme de répression : exécutions d’otages et exécutions consécutives à des jugements prononcés par les tribunaux militaires allemands. La plus emblématique est l’exécution du 15 décembre 1941, dont les victimes sont des résistants parisiens, à l’exception de Michel Farré, un jeune résistant de Colombelles.

A partir de 1942 et surtout 1943, les résistants arrêtés sont généralement déportés, même si une forme de répression judiciaire à visage légal se maintient, notamment contre les résistants communistes. 



De décembre 1943 à juin 1944, les réseaux et mouvements calvadosiens vont être durement frappés avec près de 200 arrestations. Les victimes du massacre de la prison de Caen le 6 juin 1944 sont également majoritairement des résistants, tels les membres du réseau Alliance arrêtés entre le 17 mars et le 5 mai de la même année.



Sources partielles :
Le calvados dans la Guerre Orep éditions Jean Quellien 
Bayeux et le Bessin 1940-1944. Ouvrage collectif 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire