Affichage des articles dont le libellé est déportation. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est déportation. Afficher tous les articles

Traque et déportation des résistants d'Alliance

1-Qui traque ?  Gestapo et "collabos"
2- Les services de l'Abwehr enquêtent...
3-Les étapes après une arrestation de résistant
4- Autres procédures
5- Les prisonniers d'Alliance dans les camps sont massacrés
6- Bilan


1- Qui traque les résistants d'Alliance
    • Gestapo ?
      • Nom générique (contraction du mot allemand Geheime Staatspolizei) utilisé par les Français occupés pour désigner à tort des organismes aussi différents que
        •  l'Abwehr  : service de contre-espionnage et du renseignement de l'armée allemande (Wehrmacht), dirigé par l'amiral Canaris, qui occupe l'Hôtel Lutetia à Paris. Il lutte contre les Résistants et utilise l'infiltration d'agents. A noter que l’Abwehr est souvent en conflit avec les services secrets du parti nazi : le SD et la Gestapo.
           Au sein de l'Abwehr, existe le service de contre-espionnage et renseignement de l'armée  ("AST" pour Abwehrstelle)  qui centralise en particulier, tous les cas relevant d'Alliance à son siège de Dijon.
        • la Kriminalpolizei, ou Kripo  : police criminelle
        • le Sicherheitsdienst ou SD  : Service de renseignements de sûreté, d'espionnage et de contre-espionnage du parti nazi et des SS
        • la Sicherheitspolizei, ou Sipo  : police de sûreté, faisant partie de la SS
        • en 1939 Sipo et SD sont associés pour former la Sipo-SD chargée de la répression. Elle est divisée en 6 sections spécialisées dépendant du RSHA :office central de sécurité du Reich, réunissant l'ensemble des services répressifs dont
          • Section I : administration ( courrier, finances, logement, nourriture)
          • Section II :  liaison avec police et  justice françaises
          • Section III :  informations économiques
          • Section IV  : Gestapo se divisant en sous sections spécialisées pour résistance, sabotage, contre espionnage, émetteurs clandestins... 
          • Section V :  Kripo droit commun (délits divers  et marché noir)
          • Section VI :  antenne du renseignement et manipulation des agents

      • Définition : Gestapo est un organe exécutif du SD et de la Sipo, créée par  Goering en 1933, passée en 1934 sous l'autorité de Himmler, Reichsführer SS, et en fait sous celle de son redoutable adjoint Heydrich, elle est dirigée du commencement à la fin du IIIe Reich par Heinrich Müller.

      • Rôle en France: La Gestapo s'installe dès août 1940 avec  un rôle de renseignement et de propagande, sans pouvoir d'exécution.
        En avril 1942
        Himmler obtiendra du Führer que les pouvoirs de police en France soient enlevés aux militaires et confiés au général de police SS Karl Oberg. La Gestapo  absorbe les services militaires de la police secrète, se renforce avec 1 500 policiers allemands et l'aide de plus de 40 000 auxiliaires français. La Gestapo procède à un nombre considérable d'arrestations (40 000 en 1943) sans compter des rafles massives ; elle incarcère ses victimes à Fresnes, à la Santé, au Cherche-Midi, en province dans les prisons locales. L'usage de la torture lui a été recommandé dès le 10 juin 1942 par une note de Berlin relative aux  "interrogatoires renforcés" . Les incarcérés qu'elle juge mineurs sont dirigés comme « réserve d'otages » au camp de Romainville et alimentent les exécutions d'otages, notamment celles du Mont-Valérien. Les incarcérés qu'elle juge majeurs sont envoyés, ainsi que les juifs raflés en masse, dans les camps de concentration ou d'extermination en Allemagne.


    • et la collaboration française ? 

      Le régime de Vichy choisit la voie de la « collaboration » avec le Troisième Reich. Cette collaboration prend plusieurs formes : économique, policière et culturelle. Nommé deux jours après le retour de Pierre Laval au gouvernement, le 16 juillet 1942, le chef de la police nationale, René Bousquet  (puis J Darnand) travaille en étroite coopération avec les SS. Il réorganise les forces de l'ordre françaises qu'il unifie sous son commandement, créant la Police nationale puis les Groupes mobiles de réserve (GMR). Il passe un accord, en juillet 1942, avec le général SS Carl Oberg pour maintenir l' indépendance de la police française en argumentant pour la  "répression à la française" .
      Se développent : 


2 - Les services de l'Abwehr découvrent l'importance du réseau et enquêtent...

En novembre 1942, le résistant  Ferdinand Dellagnolo est arrêté  à Strasbourg et, probablement "retourné" par les allemands, l'Abwehr comprend qu'il existe un vaste réseau bien organisé sur tout le territoire. Pour se renseigner sur ce réseau et le démanteler, ils emploieront tous les moyens :infiltration par des espions qui se faisaient passer pour des résistants, retournements d'agents du réseau qui sont des traîtres, perquisitions chez des agents et arrestations avec interrogatoires parfois extrêmement violents
 
En mars 1943, l'affaire "Alliance I" est créée,  suivie par "Alliance II" en octobre 1943 avec  la mise en place d'"infiltrations" dans le réseau qui aboutiront aux grandes rafles de 1943 et 1944. D'abord les services de  l'Abwehr de Marseille, Vichy et Paris sont chargés de l'enquête, puis Dijon et Strasbourg de l'enquête et de l'instruction du dossier d'espionnage d'Alliance."Spionage Organisation Alliance"

Archive allemande faisant été de l'arrestation de de Dellagnolo source SHD

Annotation de MM Fourcade qui évoque "une attitude louche"


A Dijon,  le service de contre-espionnage ("AST" ), rattaché à  l'état major de l'Abwehr,  est  important (27 officiers et beaucoup de personnel). On y gère un fichier central afin de lister les noms de résistants et l'organisation du réseau. Ce service mène une traque impitoyable des agents d'Alliance avec, en particulier, l'infiltration d'agents doubles ou "V-Mann" bien payés et protégés par pseudonyme qui ont signé une feuille d'engagement.

Schéma de l'organisationde I'Ast Dijon.
Strasbourg, l'AST qui comprend 80 inspecteurs est divisée en sections spécialisées, elle  se révèle particulièrement brutale.

L'exploitation des renseignements recueillis par l'AST était passée au S.D, qui, 1ui, procédait aux arrestations des agents.
Désormais tous les moyens sont mis pour traquer les résistants,  à la fois par les services de l'Abwehr (AST)  que par la Sipo-SD (Gestapo) épaulée par les collaborationnistes français. Les arrestations seront nombreuses, suite à  un  retournement de résistant arrêté, d'infiltration d'agent double,  de traîtres,  de récupération de documents sur les agents arrêtés.
75%  des arrestations effectuées par le S.D, de Dijon ont pour origine des rapports de l'Ast. Ces rapports
ou renseignements étaient tous secrets et ne portaient pas le nom de l'agent indicateur. Simplement  le numéro rnatricule.
Ainsi début 1943 les allemands possèdent déjà des organigrammes assez complet des réseaux.

Ci-dessous extrait de la structure du secteur Ferme (Calvados) datant de début 1943
Archive allemande originale, "copie de copie", qui comporte plus de 50 indications de résistants, ici présentée en annexe au courrier du BdS IV E transféré par Kdo de Rouen IV E 488/44g du 4 mai 1944
Voir le dossier complet




3 - Les étapes après une arrestation de résistant  

Source : Mémorial de l'Alliance
    • Arrestation, souvent liée à une trahison (résistant retourné), à la présence d'un agent double, avec  l'appui de collaborationnistes (cas pour le secteur Jardin)

    •  Emprisonnement  à la prison "locale" comme Caen.

    • Interrogatoire(s)  toujours particulièrement violents Un double du procès verbal de l'enquête est envoyé à Dijon.

    • Dijon : les services  traitent tous les dossiers afin de les croiser et de les raccorder aux autres arrestations

    • Fresnes: en principe, après l'interrogatoire en prison locale, le prisonnier est transféré à Fresnes. Là, les interrogatoires (et tortures) se poursuivent, divers lieux possibles :
      •  au cœur de la prison
      • 11 rue des Saussaies devenu en 1940, le siège de la Police de Sûreté Allemande, qui comprenait dans ses services, la section IV connue sous le nom de Gestapo 
      •  72 avenue Foch siège de la Sipo-SD ou Gestapo

    • Transfert du prisonnier soit
      • Camp de Schirmeck  en Alsace:  camp de transit, avec un centre d'interrogatoire où sont détenus des résistants locaux et nationaux, des juifs, des mineurs polonais, des Allemands opposés au nazisme réfugiés en France, etc., avant d’être dirigés, 
      • sous le statut NN, vers les camps de concentration ou d'extermination.

      • Diverses prisons allemandes du pays  de Bade (S-Ouest de l'Allemagne,  région couloir comprenant une partie de la plaine du Rhin et de la Forêt-Noire.) 

      • Ainsi entre décembre 1943 et janvier 1944, 128 membres du réseau, 114 hommes et 14 femmes furent déportés dans des convois de 35 à 40 personnes quittant Paris
        -71 déportés furent incarcérés dans la prison de Kelh,  près de Strasbourg sur la rive droite du Rhin ;
        -27 dans celle de Pforzheim, ville située entre Karlsruhe et Stuttgart;
        -15 à Fribourg puis transférés à Schwabisch-Hall, prison au Nord de Stuttgart, 10 à Rastatt, 4 à Offenburg et 1 à Karlsrühe.
        Au moins 53 de ces résistants furent condamnés à mort lors des procès qui se déroulèrent entre fin décembre 1943 et  juin 1944.  Après avoir été détenus dans des conditions particulièrement inhumaines, puisqu’ enfermés dans des cellules individuelles, ils ne purent en sortir que le jour de leur exécution, ces condamnés furent fusillés dans des prisons du Reich.


    • L'Instruction du  dossier se continue  en vue du procès
      • avec de nouveaux interrogatoires  souvent menés par l'Abwehrstelle de Strasbourg, nommé J Gehrum, chef de la Sicherheitspolizei, qui chapeaute la Gestapo et la Kripo.
      • Préparation du jugement auprès du tribunal de guerre du III Reich basé sur les procès verbaux d'interrogatoires
          .
    • Jugement. La plupart des procès se sont déroulés au tribunal du Grand Reich  à Fribourg en Brisgau  : 3 sessions eurent lieu successivement à quelques mois d'intervalle : la première en décembre 1941, la seconde en mars et avril 1944,, la troisième en juin 1944.
      Avant l'ouverture du procès, les détenus recevaient la visite de leurs avocats. Ceux-ci désignés par le Tribunal militaire du Reich.

      Les jugements aboutirent à la même conclusion : peine de mort, même pour les femmes, du fait que l'accusé s'était rendu coupable d'espionnage. Cela, malgré l'assurance donnée à Paris au colonel Léon FAYE lors de son arrestation, que son organisation étant une organisation militaire, tous les membres détenus de l'Alliance seraient considérés comme prisonniers de guerre, ne subiraient aucun jugement et attendraient la fin de la guerre dans les camps.
      Les détenus ( N.N.) ne furent pas pendus mais bien fusillés, exception faite de quatre femmes graciées  provisoirement.

      La première session du Tribunal de Fribourg eut pour corollaire la fusillade de Karlsruhe, la seconde celle de Ludwigsbourg et la troisième celle d'Heilbronn, ainsi que plus tard, les massacres de Fribourg et de Sonnenbourg. Les massacres du Struthof et de la Forêt Noire eurent lieu par ordre direct de I'O.K.W. Berlin.  =>Voir partie 5



    • Premières victimes
      • 1941 :  H Schaerrer, ingénieur marine pris en plein action à la base sous marine de Bassens en juilet1941. IL est interné à la prison de Fresnes. Condamné à mort le 4 novembre 1941 par le tribunal militaire allemand de Paris, il est fusillé après quatre mois de détention, le 13 novembre 1941 au Mont Valérien. Probablement le premier fusillé du réseau Alliance.
      • 1942 : Internement de 9  agents de la région Nord, procès en nov 1942, ils sont  fusillés.
      • 1943 : nombreuses actions de police partout en France : Gannat (1 agent assassiné le 9 mars), Fort de Bondues (3 agents le 30 mars et 1 agent le 30 juin),  Fort de Romainville (4 agents le 2 octobre), Dijon (1 agent meurt sous la torture le 4 nov) région de Lyon 2 agents  en fin d'année) 
4 -Autres procédures

Bien entendu, la procédure ci-dessus n'est pas toujours appliquée !
Il existe de nombreuses exécutions isolées ou massacres lors d'arrestations locales, comme le massacre de la prison de Caen le 6 juin 1944 de 75 à 80 résistants dont 16 d'Alliance, secteur Jardin.

Prison de Caen, cérémonie pour le 75° anniversaire, avec la plaque souvenir et les portraits des fusillés


5- Les prisonniers d'Alliance dans les camps sont massacrés

Après l'armistice, Marie-Madeleine Méric,  accompagnée de Rodriguez "Pie" parcourent les prisons de l'est de la France et allemandes pour retrouver la trace des membres de l'Alliance disparus : en mai 1945, 700 sont encore portés manquants. 

Note : L’avancée de l’armée américaine commandée par le Général Patton, qui, le 30 août 1944, avait atteint la Moselle, aurait déterminé les nazis au massacre des membres du réseau Alliance détenus à Schirmeck. 
    • Camp de Schirmeck  en Alsace : les prisonniers  sont transférés en septembre au camp de concentration du Struthof,  au pour la plupart non jugés total, 108 membres d'Alliance dont 16femmes de tous les secteurs (et uniquement du réseau Alliance) sont exécutés par groupes de 12 et incinérés dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944. Seul  un  médecin  et une femme ont été épargnés.  Dans ce camp on trouve la plupart des agents arrêtés fin 1943 qui étaient impliqués dans le renseignement des bases sous marines et chantiers navals.

      Plaque à la mémoire des membres du réseau Alliance, assassinés dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944 au KL Natzweiler (Struthof)

Note: En novembre 1944, alors que l’armée américaine, commandée par le Général Patton, atteignait le Rhin, les nazis organisaient les massacres des autres membres du réseau Alliance détenus dans des prisons du Reich : ce fut "la semaine sanglante de la Forêt noire" du 20 au 30 novembre 1944. 
De tous les détenus de l'Alliance  écroués dans les prisons du pays de Bade, seuls sont revenus parmi nous ceux qui, ayant été transférés dans des camps lointains eurent ainsi l' ultime chance d'échapper  à la  mort certaine qui les attendait dans le district de l'Ast-Strasbourg.

    • Prison de Kehl,  (de l'autre côté du Rhin, face à Strasbourg) on trouve le passage de Paul Bernard et  Rodriguez, mais également la confirmation de l'exécution de 9 détenus d'Alliance le 23 novembre 1944 emmenés, deux par deux, près du Rhin, non loin d’un blockhaus où ils sont  exécutés et jetés dans le fleuve. 

    •  Rastatt, (30 km au nord de Kehl) 12  hommes de Kauffmann ont été tués le 24 novembre , les prisonniers furent assassinés 2 par 2 et les corps furent jetés dans le fleuve. Le 27 novembre, 4 femmes  sont tuées et enterrées dans la forêt de Rammersweier, prés d'Offenbourg le 27 novembre

    • Bühl le 28 novembre, membres du réseau d'Autun sont abattus et jetés dans le Rhin

    • Prison de Pforzheim, 30 novembre, 26  personnes dont 8 femmes, tous de l'Alliance, sont exécutés dans un bois, les corps jetés dans une carrière de graviers

    • Camp de Gaggenaule  30 novembre, 9 hommes de Kœnigswerther, ils finissent dans un charnier dans la forêt de Ratenow où  ils furent exhumés, reconnus et aussitôt transférés à Strasbourg

    • À Frisbourg-en-Brisgau, les condamnés à mort des différents procès ont été transférés dans d'autres prisons sauf   d'entre eux qui sont  exécutés sur place le 28 novembre 1944, dont Kauffmann .
      • À Schwäbisch Hall, (où était Rodriguez-Redington) MM Méric  retrouve les corps des 24 compagnons de cellule de Rodriguez-Redington, exécutés le 20 août 1944 :
      • Sonnenburg, en zone soviétique, se déroule  le massacre des prisonniers effectués le 30 janvier 1945, devant l'avancée de l'Armée rouge, (au total, 819 corps sont trouvés par les soldats soviétiques le 31 janvier). Faye y est assassiné mais son corps ne sera pas identifié.
      • À la prison Ludwigsburg, destination la plus fréquente,  les tombes des prisonniers exécutés sont retrouvées. 13 membres de l'Alliance, du Nord, de Vichy ou de Marseille, sont enterrés là.
      • À Bruchsal, on retrouve le testament de Faye. Le 3 janvier Faye est transféré à Sonnenburg.
      • Près du cimetière de Karlsruhe reposent les corps des 13  fusillés du 1er avril 1944

  • 98 autres membres du réseau (92 hommes et 6 femmes) sont morts ou ont disparu durant leur déportation dans les camps.
Ces exécutions (qui sont connues plus tard sous le nom de  "Schwarzwälder Blutwoche" ou   "Semaine sanglante de la Forêt-Noire"  répondent, à des ordres précis de la hiérarchie de la  Sipo Sicherheitspolizei , et de la Gestapo de Strasbourg  favorables à une destruction systématique de l'Alliance.
Compléments et détails ( biographies et photos) sur le PDF du "Mémorial de l'Alliance"


6 - Bilan

Sur quelques 3000 agents que compta le réseau Alliance entre 1940 et 1944:
  • 437 agents sont officiellement reconnus morts pour la France (fusillés, massacrés, disparus) soit 15%
  • 555  membres du réseau ont été déportés vers un  camp de concentration ou parfois dans une prison (certains  n’avaient pu être jugés, d'autres ne furent pas condamnés à mort mais furent tous  déportés
    • 375 sont morts (décès  ou exécutions ou  disparus) soit 68%
    • 180 retours (1/3 de femmes) soit 32%
Ainsi les retours de responsables d'Alliance :   Loustaunau Lacau libéré en avril 1945 après la "marche à la mort", Ferdinand Rodriguez (Pie, le radio anglais) miraculeusement le 14 janvier 1945 (échange), Paul Bernard transféré à la prison de Moabit, à Berlin, d'où il sort le 22 avril 1945

Données issues de l'ouvrage de G Caraes

Sources variées