le 6 juin 1944 : prison de Caen

 le  6 juin  1944, prison de Caen

  • Les instructions allemandes en cas débarquement

    En cas de débarquement, le commandant allemand de la prison doit  appliquer les consignes prévues en cas d'alerte :
    - envoyer tous les prisonniers de la Gestapo en Allemagne afin d'éviter qu'ils ne tombent aux mains des Alliés.
    -Pour les autres détenus, en attente d'être jugés par les tribunaux de la Wehrmacht, deux possibilités selon la gravité des accusations qui pèsent contre eux, soit la en déportation vers l'Allemagne , soit la liberté

  • 5/6 Juin 1944 : une nuit d'alerte maximale
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 à Caen, personne ne dort malgré le couvre-feu, en effet  on entend le vacarme des bombardements sur la côte sur le mur de l'Atlantique, pense-t-on.  Toutefois, cette nuit là, les explosions durent anormalement ce qui déclenche une alerte dans la  de  nuit vers  2 heures trente avec des sirènes qui hurlent, inquiétant.
Vers 4 heures, le capitaine Hoffmann, commandant allemand de la maison d'arrêt s'active, il sait qu'il doit, en cas d'alerte maximale, embarquer tous les prisonniers dans un train vers Belfort puis vers l'Allemagne.  Un appel de la Feldkommandatur  (quartier général des autorités allemandes) confirme les instructions, le départ est fixé à 9H10. Les gardiens réveillent les détenus pour qu'ils préparent leurs affaires pour partir.
 Le chef de la Gestapo Heyns est averti de la réalité du  débarquement et de la possibilité de l'arrivée rapide de l'ennemi à Caen, on pense  que la ville de Caen sera prise en fin de journée.... Aussi doit-il appliquer les instructions : trier et détruire les dossiers, rue des Jacobins avant  de s'enfuir vers Falaise.
Hoffmann téléphone à 7H30 à la Feldkommandatur pour demander confirmation de l'heure de départ, on lui répond :
-Réveillez-vous !  à 5 H, la gare a été détruite par les avions !
- Que faire des prisonniers ?
-Vous allez bientôt le savoir. Vos patrons sont en route.

En effet,  gare de Caen, bombardée par les Alliés, est totalement inutilisable. Les Allemands ne possèdent ni les camions ni le personnel nécessaire pour évacuer les prisonniers en toute sécurité.

Par ailleurs, en raison de l'impossibilité de trouver un moyen de transport, Heins suggère de libérer les prisonniers dont le cas est "bénin". Mais à 8 heures, une voiture arrive  à la prison avec  quatre agents de la Gestapo menés par Herbert von Bertholdi, dit" Albert", l'adjoint de Heins, Kurt Geisller  et deux policiers ( et peut-être aussi la présence  de Heyns ?)
Geisler s'adresse à Hoffmann:
-Nous venons fusiller les prisonniers relevant de votre service
-Mais l'ordre est de les évacuer
-Et comment ? plus de trains, pas de camion, pas d'hommes pour escorter! 
Où procéder aux exécutions?
-Je ne vois que les courettes de promenade
Geisller sort une liste de 50 noms. Des ordres fusent pour  ouvrir des fosses dans les massifs  de fleurs des courettes.

Qui a pris cette décision ? aucune certitude, mais probablement Heins, le chef de la Gestapo. Parmi les bourreaux on peut citer l'Hauptmann Hoffmann, le Feldwebel Gebauer, le Gefreiter Schneider et un détenu le sous-officier Schmitt de la 21. Panzer Division Source 
  • 6 juin 1944 : Les exécutions
Les Allemands décident donc d’exécuter les résistants considérés comme «des prisonniers dits dangereux,  Les Nazis ne voulaient pas laisser de traces derrière eux » indique l’historien Jean Quellien.. Selon les travaux de l’historien,  de 75 à 80 prisonniers  ont été assassinés dans la journée du 6 juin, en deux vagues de petits groupes  4 à 7 prisonniers : le matin  de  8 heure 30 à 12 heures et, après un pause le midi, reprise de  15h à 17 heures
Les portes des cellules s'ouvrent, des noms sont criés :
"les mains sur la tête ! Dehors, Vite! Inutile de prendre vos paquets".
Conduits dans les courettes de promenade de la prison, par groupes de 6 ou 8 , ils sont assassinés d'une rafale de mitraillette puis achevés d'un coup de pistolet par les hommes de la Gestapo. Tous font preuve d'un courage exemplaire.

Les courettes de la prison : extérieur & intérieur







Ainsi l'abbé Victor Bousso a le temps de bénir ses compagnons avant d'être abattu.
En fin de matinée, la tuerie semble terminée. Le calme revient dans la maison d'arrêt. 
Vers midi, la soupe est distribuée aux survivants par Guy de Saint Pol aux prisonniers, il est questionné :
-Que se passe-t-il ? Ils les ont fusillés ?
-Ne vous inquiétez pas ! Ce n'est rien. Il ne se passe rien du tout, croyez-moi.
-ils vont nous fusiller.
-Impossible, nous n'avons pas été jugés.

Mais vers 15 heures. "Albert " est de retour avec une nouvelle liste. L'agitation reprend au troisième étage du quartier allemand. Deux gardiens français ont réussi à entrevoir la tuerie. Par groupe de huit, les victimes avancent courageusement vers la mort et sont exécutées d'une rafale de mitraillette au fur et à mesure qu'ils franchissent la porte.

 Les corps des fusillés sont enterrés dans des tranchées creusées à la hâte et recouvertes de chaux qui auraient été numérotées 2 /3 /4 /5 . Les courettes sont nettoyées des traces de sang à coups de seau d'eau. Pendant la nuit des vagues de bombardement déferlent sur la ville, incendiée. Tous les prisonniers et les gardes allemands se réfugient dans la cave de la prison. Au matin, certains prisonniers sont remis en liberté, d'autres, une vingtaine de rescapés,  sont évacués, à pied, vers Paris.
Désormais la prison de Caen est vide.

Le 16 juin 1944, deux membres de la Gestapo se présentent au surveillant chef de la maison d'arrêt Albert Puydpin pour  réclamer  les effets personnels des détenus. Ils emportent tout : papiers et effets des détenus. Auparavant les registres  d'écrou de la prison avaient été détruits. Il ne reste donc aucune trace des détenus exécutes.


A la fin du mois de juin,  devant l’avancée des armées de libération, les responsables régionaux de la Gestapo donnent l’ordre de faire totalement disparaître les corps. Le SD (service de renseignement des SS)  veut faire  déterrer les corps pour masquer les preuves de ce crime de guerre.
Les Allemands passent à l’action le 29 juin. Ils font faire cette salle besogne par des Français. Ils n’ont plus de détenus à Caen. Ils en réquisitionnent huit à la prison des Ducs, à Alençon. Seuls deux survivront à la guerre.
Les cadavres sont exhumés et partent pour une destination, toujours inconnue aujourd'hui.


A noter que :
-Deux prisonniers sont miraculeusement épargnés: Marcel Barjaud suite, vraisemblablement, à une confusion de nom (le nom inscrit est "Mariaud"), et Jacques Collard, en raison de son jeune âge , il n'a que quinze ans.
-Le quartier des femmes ne sera pas épargné, probablement deux femmes sont exécutées. Lire  le Témoignage  sur la prison de Caen de Blanche Néel


  • Quelques extraits de témoignage 
    "Pendant les exécutions les condamnés n’ont pas crié, à l’exception d’un seul. Un homme amené dans la cour − et voyant sans doute les corps de ses camarades déjà exécutés − a hurlé d’une pauvre voix désespérée : « Oh ! non ! non ! Ma femme, mes enfants… mes enfants. » Il y eut une salve brève…"

    Le 22 mai 1944, Arthur Collard  du Réseau ARC-EN-CIEL  de Caen  et son fils Jacques sont arrêtés par les hommes de la Gestapo, renseignée par les agents infiltrés de l'Abwehr. Jacques témoigne: 
    "Le 6 juin, à 6H30, on vient chercher mes co-détenus de la cellule 13, dont Thomine, puis moi-même cinq minutes plus tard, et on nous fait descendre les mains en l'air pour procéder  à un appel des noms. Dix minutes se passent, puis : "En avant marche, les mains en l'air, vers les cours" dit le commandant. Nous repartons, un officier de la Wermacht dit :" Arrêtez" et appelle mon nom et celui d'un autre (M Barjaud). Nous restons  le long du mur pendant que les autres prisonniers continuent à marcher vers les cours. J'entends des coups de mitraillettes et je vois deux hommes  tomber. Quelques moments plus tard, je vois passer un autre groupe, puis trois autres. Parmi ces groupes, je reconnais Lelièvre, Primault, Thomine, Le comte De Saint Pol, Duval, Boulard."


    Dans le courant de la matinée, nous entendions les Allemands crier très fort et revenait tout le temps le mot "vite". Puis j'ai entendu les portes des cellules s'ouvrir et descendre les prisonniers. C'étaient ceux de la rangée de droite où se trouvait ma cellule. Puis quelque temps après, nous avons entendu le bruit de la fusillade. C'étaient des séries de 5 coups semblant être des coups de mitraillette séparées par des coups plus sourds comme des coups de revolver. Je suppose que ces 2 ou 3 coups étaient tirés pour achever les victimes. Je crois avoir entendu trois séries de coups de feu avant qu'on vienne me chercher moi-même, vers 10 heures. Le gardien a ouvert en même temps que ma cellule les 8, 10 et 11. Il nous a donné ordre de sortir les bras en l'air, il nous a fait placer face contre le mur. La cellule 7 a été ouverte elle aussi. I l s'y trouvait un Alsacien du nom de Mayer, beaucoup de mes camarades se méfiaient de lui, je crois à tort. Il est descendu seul peu de temps avant nous. Il y avait également Jacques Collard, Aubray, Lecomte, Le Goff et quatre autres dont j'ignore le nom mais l'un d'eux avait comme prénom Camille et était de St-Charles-de-Péray. Nous sommes tous descendus à la queue leu leu et nous sommes arrivés dans la galerie du rez-de-chaussée, près la rotonde, il y avait déjà une série de 4. L'adjudant m'a pris par les épaules et m'a placé avec les 4 pour les compléter, et nous sommes partis aux courettes. Pendant que je marchais, un officier m'a rattrapé et m'a demandé mon nom. Il a vérifié sur un cahier ou il n'a pas trouvé mon nom qu'il orthographiait mal. Il s'est mis en colère et m'a demandé si j'avais été arrêté par la Gestapo de la rue des Jacobins. Comme je lui répondais que c'était celle de la rue de Bonnieres, il m'a à nouveau pris par les épaules et m'a placé le long du mur, toujours les mains en l'air. Je ne connaissais aucun des 4 qui me précédaient. Peu de temps après, j'ai été rejoint par le petit Collard. J'ai entendu le bruit des coups de feu tirés sur les 4 qui étaient partis devant nous. Je suis resté collé au mur pendant environ une demi-heure pendant laquelle j'ai vu passer 2 groupes de 5 parmi lesquels j'ai reconnu Le Goff, Aubray Roger, Lecomte et le prénommé Camille. Après avoir été questionné par l'officier sur la date de mon arrestation, sur l'orthographe de mon nom, un gardien est venu me chercher de même que Collard et nous a remis dans nos cellules respectives, la 8 et la 9. Nous avons croisé une colonne de détenus qui descendaient et qui ont aussitôt reçu l'ordre de regagner leurs cellules... La soupe nous a été apportée par le comte de Saint-Pol et 2 détenus dont j'ignore les noms. J 'avais remarqué en passant devant les cellules que les étiquettes sur les portes avaient été enlevées.. Vers 2 heures 30, nous avons entendu le même bruit que le matin, les mêmes cris, et les pas des détenus puis le bruit de la mitraillette. Les series de coups de feu paraissaient plus longues.
    J'ai entendu dire par la suite que c'étaient des séries de 7... La fusillade s'est terminée vers 4 heures. Dans la la soirée, j'ai entendu à nouveau des détonations, 4 je crois.


  • Le rapport officiel  de  le gendarmerie daté du 28 juin 1944

                                 source : archives du Calvados


Source essentielle : 
-"Massacre nazis en Normandie, les fusillés de la prison de Caen ", par Jean Quellien et Jacques Vico

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