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Témoignage de Blanche Néel Journée 6 juin1944 prison de Caen

Témoignage sur  le  6 juin  à la prison de Caen

Récit recueilli par Etienne Marie-OrléachTexte établi, présenté et annoté par Etienne Marie-Orléach
Relecture Maud Chatelain Source ; http://www.memoires-de-guerre.fr/?q=fr/archive/lange-de-la-prison/3901

Blanche Néel rédige ces quelques pages dans l’année qui suit la libération de la Normandie. L’Ange de la prison est un titre apposé par nos soins, reprenant simplement quelques mots du récit de Blanche Néel.

J’ai été arrêtée le 3 février 1944 à Mortain, à la place de mon mari qui avait pu prendre la fuite lorsque les agents de la Gestapo s’étaient présentés à notre domicile provisoire1. Je fus d’abord emprisonnée à Saint-Lô puis transférée quarante-huit heures plus tard à la prison de Caen.

Ma première cellule, dont j’ai oublié le numéro, était voisine de la cellule de la gardienne allemande, elle avait été occupée par Mme Desbouts, dont j’ai pris la place.
J’ai eu pour compagnes de captivité [:] une jeune fille hollandaise, Mlle Dreabeck, Mme Caby de Villers-Bocage et une jeune polonaise dont j’ai oublié le nom. Par la suite la gardienne m’a fait souvent changer de cellule, mais j’ai eu la consolation de rester presque toujours avec Mlle Dreabeck.
Mme Caby a été libérée en avril 1944, mais son mari a été fusillé le 6 juin 1944 dans la prison de Caen2.

Le 7 juin, lorsque les Allemands nous ont libérées, ils ont retenu Mlle Dreabeck qui a été déportée en Allemagne. Elle est morte à Ravensbrück, le jour même où le camp était libéré par les troupes soviétiques3.

Le 6 juin, étant de corvée, j’ai vu dans un couloir une femme française, soutenue par deux soldats allemands. À demi défaillante elle me dit : « Ils vont me fusiller »4. Elle fut entraînée vers la cour où les Allemands abattaient des prisonniers. Cette femme, dont j’ignore le nom, devait habiter rue d’Auge à Caen. Elle aurait été, à l’en croire, en relation avec un agent de la Gestapo.

P.-S.5 : À ma connaissance, dans le quartier des femmes, les Allemands n’ont pas rassemblé les femmes qui devaient être fusillées. Elles n’ont pas été mises en rangs. Il semble bien que les autorités de la prison ont choisi celles qu’il fallait exécuter et ils sont allés les chercher individuellement, une à une, dans leurs cellules. J’en trouve la preuve dans le fait que j’ai rencontré une seule femme que l’on conduisait à la mort. On nous a dit que deux ou trois femmes avaient été fusillées ; je n’ai pu en obtenir confirmation.

Celle que j’ai vue avait dit précédemment à des prisonniers : « J’ai été arrêtée par erreur. Je n’ai pas d’inquiétude. Je ne vais pas rester longtemps ici, mon “ami” est dans la police allemande, dans la Gestapo. Il est parti “en permission” en Allemagne voici quelques jours. À son retour, il me fera certainement libérer. »

Il y a tout lieu de penser que l’Allemand de la Gestapo avait commis quelque faute ou maladresse, qu’il avait été rappelé en Allemagne, que l’on avait arrêté son « amie », qui fut « supprimée » peut-être parce qu’on craignait qu’elle n’ait recueilli quelques confidences…

Après les exécutions, la gardienne allemande, sans donner évidemment d’explications, nous a offert les affaires personnelles de cette femme. Nous les avons, bien entendu, refusées.

Je n’ai pas vu les exécutions, mais, comme les autres prisonnières, j’ai entendu le matin les coups de feu qui ont repris dans la soirée vers 16 ou 17 heures environ (on nous avait pris nos montres...)6. Après les dernières salves, le soir, nous avons pu, Mlle Dreabeck et moi, ouvrir une petite fenêtre et regarder dans la cour où avaient eu lieu les exécutions. Nous avons vu des soldats allemands, sous la surveillance d’un gradé, laver un mur et un caniveau à grande eau pour faire disparaître les traces de sang. Le gradé, levant les yeux, nous a aperçues, il a hurlé des mots que nous avons mal compris. Évidemment, il nous ordonnait de refermer la fenêtre et de disparaître.

Pendant les exécutions les condamnés n’ont pas crié, à l’exception d’un seul. Un homme amené dans la cour − et voyant sans doute les corps de ses camarades déjà exécutés − a hurlé d’une pauvre voix désespérée : « Oh ! non ! non ! Ma femme, mes enfants… mes enfants. » Il y eut une salve brève…

Dans la soirée, la gardienne allemande a ouvert les portes de nos cellules. Cette femme, qui était parfaitement monstrueuse à l’égard des prisonnières, était alors blême et évidemment terrifiée.

Le matin, elle nous avait dit avec hauteur, mais aussi un certain tremblement dans la voix : « L’ennemi a débarqué sur les côtes, mais il a été repoussé… » Le soir, elle était presque aimable, elle nous rendit quelques affaires personnelles en soulignant : « L’armée allemande est honnête. »

Nous savions alors par le « téléphone » des prisons, par des mots chuchotés dans les couloirs que le Débarquement avait eu lieu. Nous entendions d’ailleurs les tirs d’artillerie, les bombardements et l’immense tumulte de la bataille toute proche. Dans l’après-midi, une agitation, confinant à l’affolement, avait régné dans la prison. Les Allemands déménageaient des archives, des dossiers. De toute évidence ils étaient pris de panique. Le repas du midi avait été distribué très tard. Le repas du soir ne fut pas distribué, car les portes des cellules ayant été ouvertes, on nous conduisit dans la rotonde de la prison (dont la coupole est vitrée). On nous rangea autour de la rotonde face au mur, avec interdiction de parler. Nous avons vécu là des heures d’atroce angoisse. Mlle Dreabeck priait à mi-voix, les prisonnières répondaient aux invocations.

Le soir, je ne peux préciser l’heure exacte, Caen subit un bombardement d’une terrifiante violence7. On nous fit descendre, avec gardienne et gardiens en armes, dans une sorte de cave, éclairée par une lanterne. Il y avait un peu de paille. Nous fûmes autorisées à nous asseoir. Dans la cave on amena quelques hommes – des prisonniers. L’un d’eux nous dit : « Ils nous ont conduits à la gare des cars pour nous faire prendre les autobus… Ils voulaient sans doute nous embarquer tous pour l’Allemagne8. Nous avons f…9 les moteurs en panne. Ils ne partiront pas. »

Les bombardements n’arrêtaient pas, le bruit de la bataille dura toute la nuit.

Tard dans la soirée nous avons entendu, dans le lointain, des tirs d’armes automatiques. Les prisonniers ont dit : « C’est des mitraillettes, les Anglais s’amènent. » Les Allemands entendaient aussi, [et] notre gardienne – pensant très certainement qu’elle risquait d’être à son tour prisonnière – était devenue aimable ! !

Vers 4 heures du matin, on nous fit remonter au rez-de-chaussée et mettre en rang par deux dans le couloir. Les portes s’ouvrirent. Je donnais le bras à Mlle Dreabeck, qui priait à haute voix. On fit signe d’avancer vers la cour, vers la rue… La gardienne allemande se tenait près de la dernière porte et serrait les mains en souriant.

Lorsque Mlle Dreabeck et moi sommes arrivées devant elle, elle prit Mlle Dreabeck par le bras disant : « Vous, par ici. » Je n’eus que le temps d’embrasser cette admirable et héroïque jeune fille – une sainte – que je ne devais, hélas, jamais revoir.

Est-ce parce que Mlle Dreabeck était hollandaise que la gardienne n’a pas voulu la libérer en France ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt que la gardienne exerçait une dernière et odieuse vengeance. Mlle Dreabeck parlait couramment l’allemand. Avec un extraordinaire courage elle prônait, en toute occasion, la défense des prisonnières, exprimait des doléances et protestait contre les procédés odieux de la gardienne.

Celle-ci devait haïr cette jeune fille qui appartenait à la noblesse hollandaise (elle était apparentée à la famille royale), cette jeune fille dont la distinction se manifestait jusque dans la misère de nos cellules. Elle haïssait aussi la force morale, le courage d’une prisonnière qui, dans l’extrême dénuement, sans pouvoir, sans autorité, osait parler au nom de la justice. C’est pourquoi la gardienne a décidé de la faire diriger vers d’autres prisons et vers l’Allemagne. J’ai su qu’en cours de route, Mlle Dreabeck avait tenté de s’enfuir en sautant d’un camion, mais qu’elle avait été rejointe par ses gardiens. Si l’on rend un pieux hommage aux fusillés de la prison de Caen, on se doit d’y associer l’hommage que mérite Dagmar Dreabeck, celle que dans nos cellules nous appelions « l’Ange de la prison »10.

P.-S. : La gardienne allemande habitait Stuttgart avant la guerre.

  • 1.Depuis le début de cette année 1944 les arrestations se multiplient, notamment dans la Manche. 634 arrestations sont ainsi dénombrées pour ce seul département durant ces premiers mois. Des coups de filet sont opérés dans l’optique de décapiter la Résistance.
  • 2.Jean Caby, alias Émouchet, du réseau de Résistance Alliance, est arrêté le 17 mars 1944 par des auxiliaires français de la Gestapo. Le 6 juin 1944 le service de sécurité policière allemande, via la voix de son chef Harald Heynz, ordonne l’exécution, à titre « préventif », des détenus de la prison caennaise. La prison compte alors entre ses murs une centaine d’hommes et une vingtaine de femmes. Caen ne se trouvant qu’à une douzaine de kilomètres des plages du Débarquement, les autorités allemandes liquideront entre 75 et 80 prisonniers, de peur qu’ils ne tombent aux mains des Alliés.
  • 3.La libération du camp intervient le 30 avril 1945. Sur la fin de vie de Dagmar Dreabeck, Antony Beevor reprend ces mêmes informations : A. BEEVOR, D-Day et la Bataille de Normandie, Paris, Calmann-Lévy, 2009, p. 165.
  • 4.Phrase soulignée dans le texte par Blanche Néel.
  • 5.Nous insérons ici ce post-scriptum (que Blanche Néel place à la fin du récit) car il apporte une série d’informations qui complètent celles du paragraphe précédent.
  • 6.Dès les premières heures de la matinée, vers 8 heures, les prisonniers sont amenés par petits groupes dans les cours de la promenade. Ils y sont froidement abattus. Les exécutions reprendront en début d’après-midi.
  • 7.La ville de Caen subit ce 6 juin 1944 plusieurs bombardements d’une extrême dureté. Le premier intervient en milieu de journée et touche principalement les quartiers Saint-Jean et Vaucelles. Comme ces deux quartiers sont assez éloignés de la prison, ce bombardement n’est pas mentionné par l’auteur. Vers 16 h 25, Caen est une nouvelle fois la cible des bombardiers alliés. Le centre-ville est alors anéanti. Dès les premières heures du 7 juin 1944, la capitale normande subit une nouvelle attaque aérienne. Plus de 700 civils perdront la vie à Caen durant ces deux journées de juin.
  • 8.Le dernier convoi de prisonniers parti de Caen, le 20 mai 1944, fut acheminé vers Compiègne et ensuite vers l’Allemagne. Puis, l’évacuation totale de la prison eut lieu le matin du 7 juin.
  • 9.Mot inachevé dans le texte car considéré comme trop familier. Nous supposons comme lecture : « Nous avons foutu les moteurs en panne. »
  • 10.Dagmar Dreabeck est née en 1906 à Maastricht, aux Pays-Bas. Le Livre mémorial des victimes du nazisme dans le Calvados nous apprend que Dagmar Dreabeck (Driebeck dans le livre) est une juive néerlandaise réfugiée dans la Manche. Les Allemands l’arrêtent le 23 février 1944 à Vergoncey, près d’Avranches, l’emprisonnent quelques mois à Caen, puis la déportent en Allemagne « en auto avec un monsieur et deux dames ». Cette information est présente dans sa fiche personnelle entreposée au Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) du Ministère de la Défense à Caen. Elle entre le 11 août 1944 au camp de concentration de Ravensbrück (cf. J. QUELLIEN (dir.), Livre mémorial des victimes du nazisme dans le calvados, Caen, Conseil Général du Calvados, Direction des archives départementales, 2004, p. 73).

Témoignage de Marcel Barjaud, 6 juin 1944, Prison de Caen

 Marcel Barjaud, incarcéré cellule 9



Marcel Barjaud commence à résister à l'occupant dès 1941 à Paris où il est né le 22 avril 1900. Il reproduit des cartes de France, avec le tracé des zones interdites par les Allemands. Arrivé à Caen, il devient le directeur de l'imprimerie Malherbe, 120 rue Saint Pierre,  et met ses talents d'imprimeur au service de l'OCM. Il fabrique de fausses cartes de travail, de fausses cartes de l'organisation Todt  permettant aux membres du réseau d'approcher des côtes afin d'y relever de précieux renseignements.

Marcel Barjaud rallie le réseau Turma-Vengeance puis le réseau Arc-en-Ciel. Il y fabrique des tracts et reproduit de nombreux plans. Il fait aussi imprimer des bons de soutien pour les maquis dans les locaux de son imprimerie. Le 23 mai 1944, il est arrêté par la Gestapo lors du démantèlement du réseau Arc-en-Ciel, et abondamment torturé.
Sorti sans ménagement de sa cellule le 6 juin 1944, il n'est pas exécuté comme 75 à 80 de ses camarades. Son nom n'était pas présent sur la liste donnée par la Gestapo ou alors fut mal orthographié. Il ne peut qu'assister, impuissant, au massacre de ses camarades.
Le lendemain, 7 juin, il est conduit à marche forcée. avec une vingtaine de résistants, en direction de Fresnes près de Paris. Torturé à nouveau, il est transféré début août à Villeneuve-Saint-Georges. Il fait partie de la liste des 300 otages désignés par les Allemands pour être fusillés en cas d'attentats contre des soldats allemands ou de soulèvement dans la capitale. Il est libéré par un coup de main des FFI

Son témoignage sur la journée du 6 Juin 1944

Dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons compris au bruit de la canonnade que le débarquement était commencé... Peu de temps après, vers 3 heures du matin, un gardien a ouvert la ponte des cellules et nous a crié des mots que nous avons interprétés comme voulant signifier qu'il fallait nous préparer. Nous nous sommes donc habillés et avons fait un paquet de nos affaires. J 'ai été tout de suite pessimiste. J'ai pu parler aux voisins de la cellule 10 par le tuyau du chauffage central. Il s'agissait de messieurs Lecomte et Aubray avec lesquels nous avons échangé nos impressions. Nous entendions un va-et-vient infernal dans la prison. Le réveil n'a pas sonné à 7 heures comme d'habitude et il n'y a pas eu de café à 8 heures. J 'ai remarqué en regardant par les fentes de la porte que des soldats examinaient les étiquettes placées sur les portes et mettaient sur la plupart un trait au crayon vert. Dans le courant de la matinée, nous entendions les Allemands crier très fort et revenait tout le temps le mot "vite". Puis j'ai entendu les portes des cellules s'ouvrir et descendre les prisonniers. C'étaient ceux de la rangée de droite où se trouvait ma cellule. Puis quelque temps après, nous avons entendu le bruit de la fusillade. C'étaient des séries de 5 coups semblant être des coups de mitraillette séparées par des coups plus sourds comme des coups de revolver. Je suppose que ces 2 ou 3 coups étaient tirés pour achever les victimes. Je crois avoir entendu trois séries de coups de feu avant qu'on vienne me chercher moi-même, vers 10 heures. Le gardien a ouvert en même temps que ma cellule les 8, 10 et 11. Il nous a donné ordre de sortir les bras en l'air, il nous a fait placer face contre le mur. La cellule 7 a été ouverte elle aussi. I l s'y trouvait un Alsacien du nom de Mayer, beaucoup de mes camarades se méfiaient de lui, je crois à tort. Il est descendu seul peu de temps avant nous. Il y avait également Jacques Collard, Aubray, Lecomte, Le Goff et quatre autres dont j'ignore le nom mais l'un d'eux avait comme prénom Camille et était de St-Charles-de-Péray. Nous sommes tous descendus à la queue leu leu et nous sommes arrivés dans la galerie du rez-de-chaussée, près la rotonde, il y avait déjà une série de 4. L'adjudant m'a pris par les épaules et m'a placé avec les 4 pour les compléter, et nous sommes partis aux courettes. Pendant que je marchais, un officier m'a rattrapé et m'a demandé mon nom. Il a vérifié sur un cahier ou il n'a pas trouvé mon nom qu'il orthographiait mal. Il s'est mis en colère et m'a demandé si j'avais été arrêté par la Gestapo de la rue des Jacobins. Comme je lui répondais que c'était celle de la rue de Bonnieres, il m'a à nouveau pris par les épaules et m'a placé le long du mur, toujours les mains en l'air. Je ne connaissais aucun des 4 qui me précédaient. Peu de temps après, j'ai été rejoint par le petit Collard. J'ai entendu le bruit des coups de feu tirés sur les 4 qui étaient partis devant nous. Je suis resté collé au mur pendant environ une demi-heure pendant laquelle j'ai vu passer 2 groupes de 5 parmi lesquels j'ai reconnu Le Goff, Aubray Roger, Lecomte et le prénommé Camille. Après avoir été questionné par l'officier sur la date de mon arrestation, sur l'orthographe de mon nom, un gardien est venu me chercher de même que Collard et nous a remis dans nos cellules respectives, la 8 et la 9. Nous avons croisé une colonne de détenus qui descendaient et qui ont aussitôt reçu l'ordre de regagner leurs cellules... La soupe nous a été apportée par le comte de Saint-Pol et 2 détenus dont j'ignore les noms. J 'avais remarqué en passant devant les cellules que les étiquettes sur les portes avaient été enlevées.. Vers 2 heures 30, nous avons entendu le même bruit que le matin, les mêmes cris, et les pas des détenus puis le bruit de la mitraillette. Les séries de coups de feu paraissaient plus longues.
J'ai entendu dire par la suite que c'étaient des séries de 7... La fusillade s'est terminée vers 4 heures. Dans la la soirée, j'ai entendu à nouveau des détonations, 4 je crois. Dans le courant de la nuit, je me rappelle avoir entendu le bruit d'une explosion. De bonne heure le mercredi matin, vers 4 heures, on ouvert les portes des cellules et j'ai entendu : vite, vite, partir, paquets ! ... Avant de quitter la prison dans la cour, le jeune André Jean, le fils d'un maire, a demandé si on allait les fusiller. Un officier a fait répondre que non, mais un adjudant de la prison a ajouté : si on avait dû vous faire fusiller, nous l'aurions fait hier, nous ne sommes pas à vingt de plus ou de moins...

Note d'après J Quellien : 
-Une mauvaise prononciation du nom de Barjaud ainsi qu'une faute d'orthographe à ce nom l'auraient sauvé : il aurait été inscrit sur le registre  " Barjand" ou Marjaud" et avec une prononciation allemande cela donne " Bariaud ou Mariaud", donc en  un moment  excitation et de précipitation, dans le doute Barjaud est mis  à l'écart et n'est pas exécuté.


Témoignage de Jacques Collard Journée du 6 juin 1944, prison de Caen

 JACQUES COLLARD, extrait du Mémorial  Alliance 


Témoignage de la journée du 6 juin 1944  de Jacques Collard, âgé de 15 ans, emprisonné.

Le 22 mai 1944, Arthur Collard du Réseau ARC-EN-CIEL de Caen et son fils Jacques sont arrêtés par les hommes de la Gestapo, renseignée par les agents infiltrés de l'Abwehr.

Jacques témoigne:
"Le 6 juin, à 6H30, on vient chercher mes co-détenus de la cellule 13, dont Thomine, puis moi-même cinq minutes plus tard, et on nous fait descendre les mains en l'air pour procéder à un appel des noms. Dix minutes se passent, puis : "En avant marche, les mains en l'air, vers les cours" dit le commandant. Nous repartons, un officier de la Wermacht dit :" Arrêtez" et appelle mon nom et celui d'un autre (M Barjaud). Nous restons le long du mur pendant que les autres prisonniers continuent à marcher vers les cours. J'entends des coups de mitraillettes et je vois deux hommes tomber. Quelques moments plus tard, je vois passer un autre groupe, puis trois autres. Parmi ces groupes, je reconnais Lelièvre, Primault, Thomine, Le comte De Saint Pol, Duval, Boulard."


Note : Jacques Collard fut sauvé, in extrémis, en raison de son jeune âge. Dans la nuit, en raison des bombardements et des incendies, les allemands  descendent avec les prisonniers restants dans les caves de la prison. Le lendemain à 4 heures et demie du matin, les prisonniers  sortent de la prison, et Arthur retrouve son fils Jacques. Plusieurs prisonniers sont relâchés  car le dossier le prescrivait en raison de faits mineurs liés à leur arrestation dont  Jacques (?), quelques prisonniers furent transférés. Le convoi d'une vingtaine de  prisonniers  marche vers Falaise  sous la surveillance d'une quarantaine d'Allemands.  
Les prisonniers sont requis à Argentan pour déblayer les ruines. Puis la pénible marche reprend et ils arrivent à Fresnes le 23 juin. Les hommes sont entassés dans de sinistres cachots et les interrogatoires et les tortures recommencent, notamment pour les résistants d'Arc -en-Ciel.
Les prisonniers vont connaître des fortunes très diverses. Arthur Collard est conduit un matin de juillet 1994 au Mont Valérien où il est fusillé. 


Complément : Arthur Collard ( le père de Jacques)
Employé de la Compagnie du gaz de Caen, Arthur Collard est également chef du réseau Arc-en-Ciel, dirigé dans le Calvados par Jean Héron (31 ans en 1940 - Organisation : Arc-en-Ciel - Domicile : Sarrebruck). Il est le frère du collaborateur Daniel Collard .

Arthur Collard  déploie une intense activité : recrutement de nombreux résistants, collecte de précieuses informations, fabrication de faux-papiers pour de jeunes gens gens réfractaires au STO. Le 3 mai 1944, avec l'aide d'un commando venu de Paris, cette organisation réussit un coup d'éclat, en abattant en pleine rue le sinistre Brière agent français de la Gestapo.
Les Allemands s'ingénient dès lors à laver cet affront. L'Abwehr, le service de contre-espionnage de l'armée allemande, manipulant l'un des membres du groupe, parvient à identifier la plupart de ses camarades. Le coup de filet lancé le 22 mai aboutit à l'arrestation d'une douzaine de personnes, dont Arthur Collard.

Momentanément épargné, il échappa au massacre des résistants internés à la prison de Caen le 6 juin. Mais ce répit fut de courte durée. Transféré à Fresnes, il fut fusillé en juillet au Mont Valérien.









Sources :
Massacres nazis en Normandie de J Quellien et Jacques Vico

Le mystère des fusillés

 Le mystère des fusillés de la prison de Caen demeure. Depuis le mois de juin 1944, on ne sait pas où sont enterrés les 75 à 85 résistants tués par les Nazis à la prison de Caen. Les pistes sont nombreuses en raison de témoignages français et allemands, variés, imprécis, confus et  ambigus ; les plus intéressantes sont présentées par ordre chorologique. Une synthèse permet de rejeter les anachronismes et proposer quelques indications fiables.

  • Ou sont les corps  des fusillés ? une multitude d’hypothèses
Rapidement après la guerre, divers témoins sont entendus. Sans apporter d’éléments décisifs. Au fil des années, malgré la peine des familles, l’intérêt pour cette énigme faiblit. L’affaire est relancée dans les années 60 puis au milieu des années 80 sous l’impulsion de Jacques Vico, résistant caennais. En 1994, il publie avec Jean Quellien "Massacres nazis en Normandie" aux éditions Corlet (dont nous avons tiré beaucoup d'informations). Mais l’énigme reste entière car les témoignages sont imprécis, contradictoires et de multiples hypothèses sont possibles. De plus, il est probable que plusieurs lieux pourraient exister.
Jean Quellien les ferme les unes après les autres sans pouvoir apporter une piste fiable : « On a parlé des environs de Bayeux. Quand on regarde le front à la date du 29 juin, on se demande ce qu’auraient été faire des Allemands dans un secteur tenu par les Anglais. L’aérodrome de Carpiquet ? Là aussi, bizarre de venir enterrer plus de 70 corps tout près de la ligne de front. Des fouilles y ont eu lieu. C’étaient les corps de soldats canadiens. Les mines de May-sur-Orne ? Drôle d’idée de venir dans ce site où étaient réfugiés des milliers de civils. »
L'hypothèse du transfert des corps en dehors de Caen le 30 juin 1944 pose problème car tous les ponts de l'Orne sont détruits. Seule une passerelle (voitures, camions légers) a fonctionné jusqu' au 7 juillet 1944.
  • Les témoignages français
En historien, Jean Quellien se concentre sur les témoignages et  documents originaux pour évoquer des  pistes. 
    • le 12 octobre 1944, témoignent devant le juge d'instruction de Domfront  les 2  survivants de l’équipe des prisonniers d’Alençon  : "Brieux à Goupillières?"
Deux détenus de droit commun  de la prison d'Alençon  Marcel Constantin et Marcel Heurteaux   faisaient partie des huit prisonniers d’Alençon chargés par la Gestapo d'Alençon  de partir à Caen pour exhumer les corps des fusillés de la prison. Constantin déclare :
Ils sont  enchainés dans une camionnette qui transporte aussi des explosifs et arrivent à la prison de Caen le  29 juin au soir où ils sont incarcérés. Réveillés le lendemain très tôt, ils démolissent à l'explosif le mur des courettes intérieures puis, ouvrent une fosse de 5m sur  10m ou des cadavres sont disposés en 6 rangées de  4 corps. Les corps sont exhumés et chargés dans  2 camions. Une autre équipe travaille sur une autre fosse. Ils repartent dans une camionnette bâchée sans voir l'extérieur. La route est tortueuse, bordée d'arbres.. Les camions se sont éloignés et ils ne les ont pas revus.
Devant un juge d’instruction, il décrit les lieux : « L’endroit où nous étions n’était pas de la plaine. Il y avait des haies. Nous traversions un pont sur une rivière de cinq à six mètres de large ».

Constantin est décédé mais Heurteaux est réentendu en 1986 devant un commissaire divisionnaire chargé d’une enquête par des associations de résistants et confirme. Il précise  qu'ils ont roulé lentement pendant une demie heure  à trois quarts d'heure puis ont été mitraillé et sont revenus  à la prison.  Il évoque aussi le trajet des camions allemands : « Il a aperçu une pancarte où il a lu ou a cru lire l’indication Saint-Brieuc, ou un nom à consonance voisine. »

Pour l’historien, Saint-Brieuc ne peut pas être retenue comme une destination possible. Mais à partir de ces documents, il propose une nouvelle piste : « La description du parcours peut correspondre à la vallée de l’Orne. La destination finale des corps n’est pas très loin de Caen. Pour les Allemands, aller vers le Sud, là où ils maîtrisent encore le terrain, semble logique. Après Caen, pour traverser l’Orne, le premier passage possible est sur le pont de… Brieux, à Goupillières. Tout près se trouve la ferme du Fou pendant à Espins, où une partie de la Gestapo caennaise s’était repliée depuis le 6 juin. Je ne dis pas que j’ai la réponse mais tous ces éléments sont troublants. »

Une assistance sociale retraitée, mademoiselle Pesche, a indiqué  dans un compte rendu avoir visité en 1944 les prisonniers d'Alençon. Constantin lui aurait dit avoir participé  à l'exhumation et indiqué que les camions auraient suivi la route de Falaise puis un chemin vers des carrières et trous d'eau où les corps ont été déchargés.
Il existe donc aussi  la possibilité que le lieu soit la commune de "Brieux" située à 10 km  au Sud de Falaise, dans l''Orne qui, de plus, possède une carrière créée en 1920 : "Carrière de Vignats"



    • le 20 décembre 1944 : rapport du Commissaire central de Caen sur l'exhumation : "entre Caen et Bayeux"
Il confirme la présence d'une dizaine de jeunes français dans un camion allemand, des explosions et  48 heures d'exhumation. Les corps partent dans une direction inconnue entre Caen et Bayeux

    • le 13 janvier 1951, le tribunal militaire de Paris interroge Constantin
Il confirme ses propose le convoi roulait vers Bayeux et que les cadavres devaient être abandonnés dans des fossés.

    • le 31 janvier 1951, le tribunal militaire de Paris interroge  Haquin qui est confronté à Constantin
Constantin déclare que Haquin l'a accompagné avec Heurteaux et répète ses propos précédents. Mais Haquin déclare : "Je n'ai rien  à dire !"
    • le 14 mars 1964 :Mise au point de la nouvelle  "Commission du souvenir des fusillés" de Léonard Gilles
Elle indique que les recherches sont restées vaines. Les divers témoignages mènent à des pistes diverses qui se sont révélées fausses après des recherches :
-carrières de Carpiquet
-butte du champ de tir
-butte de la colline des Oiseaux

 J Delarue commissaire chargé à Paris de la recherche des criminels de guerre indique que selon un agent français du SD de l'Orne (Poupard) c'est le chef SD d'Alençon qui aurait donné l'ordre des exhumations, confirmé par l'agent français Haquin  qui accompagnait dans la camionnette  des 8 détenus d'Alençon. Haquin et Poupard indiquent que 20 corps sont chargés dans une camionnette et les autres dans des camions, et transportés à Rouen. Six prisonniers témoins auraient été ensuite exécutés. Heurteaux et  Constantin se seraient évadés.
Un autre rapport de Delarue du 3 décembre 1986 précise qu'un agent français aurait indiqué que ce n''était pas Rouen mais "Route de Rouen"
D'autres gardiens Puy du pin et Mahé indiquent plusieurs voyages en rotation de une heure trente en direction de Bayeux.

    • le  6 Juin 1964
Léonard Gilles lance un appel radio et  à la télévision qui, malgré son audience, n' apporte rien, si ce n'est des témoignages fantaisistes.
    • Presse Normande en 1981 (Ouest France et Paris Normandie) après l'audition de Barjaud, Lebrun, Collard  par le juge Moitié dans le cadre d'une enquête diligentée par l'Allemagne
      • Il semble acquis que le transfert des corps a été fait  sur ordre de Rouen par des camions d'Alençon, avec des prisonniers polonais et russes pour être brûlés du côté d'Argences 
      • divers autres témoignages indiquent d'autres lieux comme Pont D'Ouilly,  l'entrée du château de Baron sur Odon, la forêt de la Londe près de Rouen

    • Presse en 1985 (Ouest France, Pays d'Auge, le Matin, Liberté) rapporte que des prélèvement et analyses du sol dans la forêt de la Londe indiquent une crémation puis que cela  n'est pas sûr  :"aucune réponse claire et définitive"

    • 6 juillet 1985 : Témoignage de Albert Puy du Pion, gardien chef de la prison de Caen ( déjà entendu le 17 juillet 1944)
      Il confirme l'arrivée le 29 juin  au soir d'un camion avec 8 jeunes qui ont exhumé les deux jours suivants les corps. Il précise qu'ensuite il a vu du sang frais qui montre de nouvelles exécutions :les 8 jeunes.

    • 1986: Au final, il est décide d'établir  par J Delarue une mission chargée de rassembler tous les éléments et documents pour éclaircir cette affaire ; le 3 décembre 1986,  un rapport de 28 pages  est déposé,  il montre les incohérences, contradictions, invraisemblances mais qu'il existe aussi des cohérences, en particulier en liaison avec le contexte géographique à Caen au moment des faits.
      En conclusion J Delarue pense que  les corps exhumés ont été réinhumés en plusieurs endroits dans le même secteur, aux environs de Caen, à l'Ouest, en direction de Bayeux (et qu'ils n'ont pas été transportés en forêt de la Londe).
      En fait, ce rapport  n'apporte rien de nouveau...

Qu'apportent les témoignages allemands?

  • Les témoignages allemands
Après la guerre, les services français multiplient les opérations afin d'obtenir des témoignages allemands concernant les exécutions et le transport des corps.
    • 26 Juillet 1946, direction de la sureté, Zone française, Fribourg, témoignage de Heinz Hause (Sipo de Rouen)
      Il confirme l'exécution de 80 détenus sur ordre de Heyns, avec Geissler qui y assisté. Concernant l'exhumation , il indique : "ils furent exhumé  et leur corps furent brulés dans la forêt non loin de Caen"

    • 28 Mars 1947, Signalement de la Direction des Renseignements Généraux
      Il est indiqué qu'il n'a pas été possible d'identifier les auteurs des exécutions et que les recherches  pour découvrir les corps n'ont pas abouti. Les responsables éventuels seraient  des membres de la Gestapo : Von Berthodi "Albert" et Heyns  "Bernard".

    • 22 Juillet 1947: Services français en Allemagne, témoignage de Kurunde Walter (SD de Rouen)
      • Il indique que Meyer, chef de la Gestapo de Rouen, a fait acheter en juillet 1944 des gants en caoutchouc. Puis  2 camions avec chauffeurs allemands et 20 russes sont partis à Caen déterrés 80 corps qui ont été transportés dans une forêt prés de Rouen pour être brulés.
      • Ceci est confirmé le 26 mai 1948 lors du procès Hambourg par l'interprète Shneider que les corps ont été brulés dans une forêt près de Rouen.

    • 10 juin 1949 : Direction de la sureté en Allemagne, témoignage de Trieber Gertrud , (secrétaire de la Gestapo de Caen) 
      • confirme les exécutions de 80 détenus
      • indique que début juillet 1944 Heins et Geissler de Caen sont convoqués à Rouen par Muller qui demande de supprimer toute trace des exécutions. Les corps sont exhumés et incinérés sur les bords de la Seine

    • 1993 : Réponse de l'ambassade de la RFA à une demande d'une association de la Manche qui apporte divers témoignages, en particulier:
      • Témoignage de Henrich Meyer le 24 avril 1988
        • confirme la volonté  de supprimer toute trace des exécutions.
        • indique "les corps ont été brûlés sur un terrain boisé aux environ de Rouen, à 30 à 40 km de Rouen en direction de Caen. j'ai vu moi même brûler les corps" Il ne peut préciser exactement le lieu.

    • Les historiens locaux s'en mêlent ! 

      • 2017 : Les "historiens locaux" cherchent aussi... : Louvigny ?

      Témoignage de Jacques Pignot, l’ami et camarade de l’un des fossoyeurs de Louvigny 

       Vanina Brière, chercheuse à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, indique que  les 70 à 80 résistants – selon l’actualisation des données par la Fondation et la Direction des Anciens Combattants – ont été « enterrés » ou « jetés » quelque part, à l’ouest de la ville, dans un endroit toujours recherché, jusqu’à ce jour ». Depuis peu, un homme a décidé de révéler ce qu’il croyait savoir de cette terrible histoire de guerre, que d’aucuns qualifient même de « crime de guerre ». Il s’agirait d’une double révélation de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme… ».

      D'après Jacques Pignot, 70 ans en 2017. 
      Ancien cheminot, plutôt mécanicien à la retraite, sur la ligne Cherbourg-Caen-Paris, il regardait la télévision chez lui quand un reportage sur les massacres nazis attire soudain sa mémoire. Ce Caennais se rappelle alors une histoire étonnante. Il affirme avoir recueilli les confidences d’un camarade cheminot, qui voulait « peut-être soulager sa conscience ». Cet ami, dénommé Eugène Viez, lui a raconté dans quelles conditions il aurait été réquisitionné par « les Occupants » (les Nazis) pour creuser à la hâte plusieurs tombes, qui pourraient bien être la dernière demeure des « fusillés de la prison de Caen ».

      Ce dont se souvient précisément Jacques Pignot est-il de nature à relancer la seule question qui vaille relative à la localisation des corps ? « Je travaillais en équipe avec mon camarade Eugène Viez à la SNCF. Un jour, il m’a dit, « il faut que je te parle ». C’était au moment du Débarquement allié, qui a eu lieu dans la nuit du 5 au 6 juin et s’est poursuivi pour les Caennais jusqu’aux 9 et 19 juillet dates de la libération de Caen rive gauche puis rive droite.

      Eugène Viez raconte alors qu’avec de des jeunes hommes de son âge,  ils assistaient à une séance de cinéma au Trianon – une salle de cinéma qui se trouvait en face de l’Hôtel de Ville – sur l’emplacement actuel de l’ancienne Bibliothèque municipale de Caen. « C’était en début de soirée ». Tout d’un coup, ils ont vu arriver une troupe de soldats dans le cinéma. « Tout le monde dehors, mains sur la tête ! » ordonna un officier allemand. Les jeunes s’exécutent. En ordre et sous bonne garde, ils se dirigent vers la sortie de la salle conformément aux indications de l’officier.

      Dehors, deux camions attendaient. Moteurs ronflants. La vingtaine ? peut-être une trentaine – de jeunes caennais, des « garçons » d’une vingtaine d’années et quelques adultes en rang, devaient monter dans les véhicules militaires, les uns derrière les autres, « sans broncher ». L’embarquement terminé, bâches des camions rabattues, le convoi s’ébranle alors dans les rues de Caen vers une destination ignorée des jeunes raflés. « Ils ne voyaient rien », précise le narrateur. Tout ce qu’ils ont pu noter, c’est le temps mis pour arriver à destination. « Il faisait déjà nuit et le trajet a duré 15 à 20 minutes ».

      Une fois descendus des camions, les soldats allemands leur ont indiqué un emplacement, autour d’une structure qui semblait être un château d’eau non loin d’une bâtisse évoquant une sorte de demeure de maître. Un manoir ? Un château ? Ses dépendances ? En tout état de cause il s’agissait a minima d’une grande propriété, un domaine en bordure d’une forêt imposante.

      Les Allemands leur intiment alors l’ordre de creuser des trous… Des tombes en somme, disposées en demi-circulaire autour de ce château d’eau. Ils se sont vus mourir dans l’étape d’après… Angoissante manœuvre qui dura toute la nuit, jusqu’au petit matin. Combien de tombes creusées ? Combien de trous ? Jacques raconte mais ne s’en souvient plus ; si tant est qu’il ait eu cette information. Toujours est-il que, à un moment donné, les soldats allemands leur demandent de tout stopper et de s’en aller. « Allez-vous en ! Maintenant ! Allez ! ».

      Sans attendre, ils se sont mis à courir comme des lapins, la peur au ventre, en se disant « ils vont nous tirer dans le dos ». Il fallait s’enfuir. S’enfuir, pour aller où ? Ils l’ignoraient mais couraient toujours en attendant la fameuse rafale qui finalement ne viendra pas. Courir aussi vite que possible, en direction de la forêt s’ouvrant devant eux, jusqu’à disparaître complètement leur a sauvé la vie… Eugène Viez continue son récit à son ami et camarade Jacques. Il pensait avoir reconnu ce domaine, vu un pigeonnier et pas un château d’eau. Quelques années plus tard, il se souvenait avoir pensé retrouver à Louvigny la configuration du trajet effectué à la fin de la guerre. La mémoire du narrateur flanche sur ce point. Les dates ne sont pas précises. Certains détails lui échappent.

      Pendant plusieurs décennies, Eugène Viez et Jacques Pignault ont enfoui dans leur mémoire cette histoire tragique traitant de l’un des massacres perpétrés par les Nazis sur les populations civiles, résistants et autres otages. Viez a eu un fils qui se souvient de cette histoire racontée par son père. À une nuance près, Pignault parle de pigeonnier à la place d’un château d’eau qui ressort de la version du fils, Michel VIEZ, aujourd’hui retraité de l’industrie, Président de la Société de Chasse communale de Fleury-sur-Orne.

      Les vérifications opérées auprès du cadastre à la mairie de Louvigny indiquent qu’il s’agirait bien du château de Louvigny, qui disposait, à 15 ou 20 minutes de Caen, d’une imposante forêt domaniale. Le pigeonnier y figure bien.

      Toutefois les historiens ne semblent pas s'intéresser à cette piste du témoin d'un témoin....

      • 2019 Claude Bodin lance une cagnotte en ligne pour vérifier où sont les corps des fusillés de la prison de Caen de juin 1944 : à Louvigny ?
      et complément
      Un ancien sous-préfet, Claude Bodin, vient de lancer une campagne de financement participatif pour réaliser des sondages à Louvigny aux portes de Caen. Là où il pense que les dépouilles ont été cachées.
      Si l’État a mené des recherches officielles jusque dans les années 1980, aucune piste n’a abouti. Depuis, plusieurs hypothèses ont été émises sur le lieu où ont été déposés les corps mais il faut des certitudes
      .

  • Quelle conclusion?

    • Les faits établis
      • 6 juin 1944 : débarquement, la Gestapo s'affole et semble dépassée par les évènements surtout que les possibilités de transport par voie ferrée sont  impossibles.

      • Fin juin, il n'existe plus de ponts sur l'Orne sauf une passerelle étroite détruite le 7 juillet par l'aviation. Les alliés sont aux portes de  Caen (Epron,  Buron, Authie, Carpiquet). Circuler pour les allemands se révèle très compliqué, voire impossible.
        les sorties possibles sont très limitées  sauf dans un secteur  Ouest et Sud-Ouest

        Carte Wikipédia : La bataille de Caen
Plan de reconstruction et d'aménagement de la ville de Caen, en 1946, par l'urbaniste Brillaud de Laujardière, ministère de la reconstruction et de l'urbanisme. En Trait orange, la reconstruction de voies nouvelles : tous les ponts sont  à reconstruire (N°18)
Source : Archives du calvados
Voir ce dossier sur les ponts de Caen en 1944

  • Les point fiables des témoignages
      • Le croisement des témoignages  ont  des points communs fiables :
        • les dates de réalisation : exécution le 6 juin et exhumation le 30 juin
        • l'arrivée de plusieurs camions avec des soldats et plusieurs équipes (venant probablement  d'Alençon)
        • des exhumations qui durent au moins 48 heures
        • des rotations de camions d'une heure trente environ
        • la présence d'allemands (Gestapo, feldgendarmes)
        • le déchargement des corps à proximité de Caen
          et donc, le 30 juin 1944,  avec la destruction des ponts sur l'Orne et l'avancée alliées seuls les secteurs Ouest et Sud-Ouest de Caen semblent concernés.
        • Il est impossible de connaître le ou les  lieux précis, il est plausible qu'il existe plusieurs lieux. 
        • Les rares sondages effectués sont très insuffisants

      • l'hypothèse de la crémation des corps est uniquement allemande, de manière, indirecte, par  des témoignages d'un témoin qui se réfère à un autre témoin... qui semble venir de la volonté de  brouiller les pistes afin de cacher une réalité passible de  poursuites pour  crime de guerre. De plus, les dates citées (en juillet 1944) sont improbables en raison de la situation militaire de la libération de Caen (rive gauche libérée le 9 juillet)
    • Et demain?
      • Le réalisme implique que les corps ne soient jamais retrouvés
        mais
      • Avec  beaucoup de  chance, et surtout  en utilisant de nouvelles  technologies (radar infrarouge LIDAR) qui nécessitent des moyens (avions détecteurs), d'associer des compétences  (histoire,  géographie, géologie...) tout est possible !


Source essentielle de ce dossier
Massacres nazis en Normandie de l'historien J Quellien et J Vico, résistant

Complément