Témoignage de Marcel Barjaud, 6 juin 1944, Prison de Caen

 Marcel Barjaud, incarcéré cellule 9



Marcel Barjaud commence à résister à l'occupant dès 1941 à Paris où il est né le 22 avril 1900. Il reproduit des cartes de France, avec le tracé des zones interdites par les Allemands. Arrivé à Caen, il devient le directeur de l'imprimerie Malherbe, 120 rue Saint Pierre,  et met ses talents d'imprimeur au service de l'OCM. Il fabrique de fausses cartes de travail, de fausses cartes de l'organisation Todt  permettant aux membres du réseau d'approcher des côtes afin d'y relever de précieux renseignements.

Marcel Barjaud rallie le réseau Turma-Vengeance puis le réseau Arc-en-Ciel. Il y fabrique des tracts et reproduit de nombreux plans. Il fait aussi imprimer des bons de soutien pour les maquis dans les locaux de son imprimerie. Le 23 mai 1944, il est arrêté par la Gestapo lors du démantèlement du réseau Arc-en-Ciel, et abondamment torturé.
Sorti sans ménagement de sa cellule le 6 juin 1944, il n'est pas exécuté comme 75 à 80 de ses camarades. Son nom n'était pas présent sur la liste donnée par la Gestapo ou alors fut mal orthographié. Il ne peut qu'assister, impuissant, au massacre de ses camarades.
Le lendemain, 7 juin, il est conduit à marche forcée. avec une vingtaine de résistants, en direction de Fresnes près de Paris. Torturé à nouveau, il est transféré début août à Villeneuve-Saint-Georges. Il fait partie de la liste des 300 otages désignés par les Allemands pour être fusillés en cas d'attentats contre des soldats allemands ou de soulèvement dans la capitale. Il est libéré par un coup de main des FFI

Son témoignage sur la journée du 6 Juin 1944

Dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons compris au bruit de la canonnade que le débarquement était commencé... Peu de temps après, vers 3 heures du matin, un gardien a ouvert la ponte des cellules et nous a crié des mots que nous avons interprétés comme voulant signifier qu'il fallait nous préparer. Nous nous sommes donc habillés et avons fait un paquet de nos affaires. J 'ai été tout de suite pessimiste. J'ai pu parler aux voisins de la cellule 10 par le tuyau du chauffage central. Il s'agissait de messieurs Lecomte et Aubray avec lesquels nous avons échangé nos impressions. Nous entendions un va-et-vient infernal dans la prison. Le réveil n'a pas sonné à 7 heures comme d'habitude et il n'y a pas eu de café à 8 heures. J 'ai remarqué en regardant par les fentes de la porte que des soldats examinaient les étiquettes placées sur les portes et mettaient sur la plupart un trait au crayon vert. Dans le courant de la matinée, nous entendions les Allemands crier très fort et revenait tout le temps le mot "vite". Puis j'ai entendu les portes des cellules s'ouvrir et descendre les prisonniers. C'étaient ceux de la rangée de droite où se trouvait ma cellule. Puis quelque temps après, nous avons entendu le bruit de la fusillade. C'étaient des séries de 5 coups semblant être des coups de mitraillette séparées par des coups plus sourds comme des coups de revolver. Je suppose que ces 2 ou 3 coups étaient tirés pour achever les victimes. Je crois avoir entendu trois séries de coups de feu avant qu'on vienne me chercher moi-même, vers 10 heures. Le gardien a ouvert en même temps que ma cellule les 8, 10 et 11. Il nous a donné ordre de sortir les bras en l'air, il nous a fait placer face contre le mur. La cellule 7 a été ouverte elle aussi. I l s'y trouvait un Alsacien du nom de Mayer, beaucoup de mes camarades se méfiaient de lui, je crois à tort. Il est descendu seul peu de temps avant nous. Il y avait également Jacques Collard, Aubray, Lecomte, Le Goff et quatre autres dont j'ignore le nom mais l'un d'eux avait comme prénom Camille et était de St-Charles-de-Péray. Nous sommes tous descendus à la queue leu leu et nous sommes arrivés dans la galerie du rez-de-chaussée, près la rotonde, il y avait déjà une série de 4. L'adjudant m'a pris par les épaules et m'a placé avec les 4 pour les compléter, et nous sommes partis aux courettes. Pendant que je marchais, un officier m'a rattrapé et m'a demandé mon nom. Il a vérifié sur un cahier ou il n'a pas trouvé mon nom qu'il orthographiait mal. Il s'est mis en colère et m'a demandé si j'avais été arrêté par la Gestapo de la rue des Jacobins. Comme je lui répondais que c'était celle de la rue de Bonnieres, il m'a à nouveau pris par les épaules et m'a placé le long du mur, toujours les mains en l'air. Je ne connaissais aucun des 4 qui me précédaient. Peu de temps après, j'ai été rejoint par le petit Collard. J'ai entendu le bruit des coups de feu tirés sur les 4 qui étaient partis devant nous. Je suis resté collé au mur pendant environ une demi-heure pendant laquelle j'ai vu passer 2 groupes de 5 parmi lesquels j'ai reconnu Le Goff, Aubray Roger, Lecomte et le prénommé Camille. Après avoir été questionné par l'officier sur la date de mon arrestation, sur l'orthographe de mon nom, un gardien est venu me chercher de même que Collard et nous a remis dans nos cellules respectives, la 8 et la 9. Nous avons croisé une colonne de détenus qui descendaient et qui ont aussitôt reçu l'ordre de regagner leurs cellules... La soupe nous a été apportée par le comte de Saint-Pol et 2 détenus dont j'ignore les noms. J 'avais remarqué en passant devant les cellules que les étiquettes sur les portes avaient été enlevées.. Vers 2 heures 30, nous avons entendu le même bruit que le matin, les mêmes cris, et les pas des détenus puis le bruit de la mitraillette. Les séries de coups de feu paraissaient plus longues.
J'ai entendu dire par la suite que c'étaient des séries de 7... La fusillade s'est terminée vers 4 heures. Dans la la soirée, j'ai entendu à nouveau des détonations, 4 je crois. Dans le courant de la nuit, je me rappelle avoir entendu le bruit d'une explosion. De bonne heure le mercredi matin, vers 4 heures, on ouvert les portes des cellules et j'ai entendu : vite, vite, partir, paquets ! ... Avant de quitter la prison dans la cour, le jeune André Jean, le fils d'un maire, a demandé si on allait les fusiller. Un officier a fait répondre que non, mais un adjudant de la prison a ajouté : si on avait dû vous faire fusiller, nous l'aurions fait hier, nous ne sommes pas à vingt de plus ou de moins...

Note d'après J Quellien : 
-Une mauvaise prononciation du nom de Barjaud ainsi qu'une faute d'orthographe à ce nom l'auraient sauvé : il aurait été inscrit sur le registre  " Barjand" ou Marjaud" et avec une prononciation allemande cela donne " Bariaud ou Mariaud", donc en  un moment  excitation et de précipitation, dans le doute Barjaud est mis  à l'écart et n'est pas exécuté.


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