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La prison de Caen

 Les prisons de Caen

 Sous l'occupation, comme de nos jours, il existe à Caen deux prisons :

- La maison centrale de Beaulieu (Maladrerie) construite au XIX°  ( Elle existe toujours aujourd'hui.)

Pendant la guerre et l'occupation, elle  reste principalement sous l'autorité de l'administration française. On y emprisonne aussi des condamnés politiques, tels que Paul Collette , auteur de l'attentat contre Laval , mais surtout des communistes condamnés aux travaux forcés par les sections spéciales du régime de Vichy.

Certains d'entre eux seront désignés comme otages par les autorités allemandes pour être fusillés en représailles d'attentats commis contre des soldats de la Wehrmacht en divers points de France. L'exécution la plus massive a lieu le 15 décembre 1941, lorsque 13 détenus de la maison centrale, dont le secrétaire général de L'Humanité, Lucien Sampaix , sont extraits de leurs cellules pour être passés par les armes. Ils quittent la prison pour la caserne du 43e en chantant La Marseillaise et L'Internationale.
Au cours de l'été 1942, les Allemands ordonnent l'évacuation de la totalité des détenus de la maison centrale qui sont transférés vers les prisons de Fontevraud, Villeneuve-Saint-Georges, Hauteville près de Dijon et du Haut-Clos, à Troyes.
A l'automne 1943, Beaulieu est reconvertie en prison de femmes, et accueille le 6 octobre 170 condamnées provenant de Fresnes et de La Roquette escortées par 80 Gardes Mobiles, 15 surveillants et 15 religieuses.


-La maison d'arrêt, rue Général Duparge non loin du carrefour de la rue de Bayeux et du boulevard Dunois, est réservée aux courtes peines ou aux détenus en instance de jugement ou attendant un transfert vers une autre prison.  Les Allemands ont réquisitionné   "la grande galerie", surtout réservée aux  prisonniers Allemands et la petite galerie réservée aux détenus de droit-commun, et tenue par un personnel pénitentiaire français. Les hommes sont groupés au troisième étage du bâtiment central et les femmes dans l'aile gauche de l'entrée. C'est dans cette prison que sont détenus les résistants arrêtés.
La prison est placée sous l'autorité des allemands de  la Feldkommandantur  à l'hôtel Malherbe, la surveillance est donc assurée par des soldats de la Wehrmacht, soit  une vingtaine d'homme s et quelques femmes.

Cette prison doit déménager à Ifs en 2024. Le devenir du bâtiment actuel, qui appartient à l’État, n’est pas encore connu.

Qui allait en prison ?

La justice envoie ses condamnés habituels mais il faut ajouter désormais les trafiquants du marché noir et ceux que la "justice" de l'occupant arrête et condamne pour action de résistance, refuser une réquisition, ou, tout, simplement pour "attitude anti allemande". En fait, on peut très vite être arrêté pour ne pas respecter le couvre-feu,  avoir écouté la radio anglaise, dessiné  un graffiti, une  croix de Lorraine, ne pas avoir  déposé son fusil de chasse à la mairie, être  pris dans une rafle, avoir une attitude ou propos  ambigus, avoir une altercation etc... 

 Il ne faut pas oublier que les  militaires allemands peuvent aussi avoir leur propres condamnés car la discipline de la Wehrmacht est stricte 

Des prisons surpeuplées

Ainsi, très tôt, dés 1941,  les prisons sont surpeuplées avec des conditions de vie et d'hygiène  inquiétantes. Début 1942,  certains  condamnés à des peines lourdes furent envoyés en Allemagne, puis en  juin il fut décidé d'évacuer  les prisons du département, que l'on soit détenu de droit commun,  condamné par un tribunal français ou  prisonnier jugé par un tribunal allemand.
Le 15 juillet 1941,  127  prisonniers de la prison centrale  dont beaucoup de communistes  et 118 de la maison d'arrêt furent dispersés  dans diverses prisons françaises. Le 29 juillet  1941,  637 détenus  de droit commun  sont évacués, ainsi la maison centrale de Caen est vidée. Dés 1943 la maison centrale accueillait à nouveau des prisonniers, surtout des femmes et des étrangers (russes, italiens) qui restaient peu de temps car ils étaient renvoyés vers  un camp de Lisieux puis vers  un camp de concentration.

Fin 1943, de plus en plus de résistants sont capturés par la Gestapo ou la bande à Hervé,  la maison d'arrêt de Caen devient  le lieu de détention de ces condamnés pour actes de terrorisme  qui ne restaient pas longtemps étant soit fusillés, soit déportés. Les 19  prisonniers  d'Alliance, arrivés   le 17 mars 1944, puis fin avril et enfin les 4 et 5  mai 1944 pour les derniers connurent une autre alternative, le déclenchement du débarquement  nécessita de prendre une nouvelle mesure en urgence et dans la précipitation : l'exécution

Vivre en prison

 La vie est particulièrement dure, règlements stricts et  interdictions dominent aussi coups et punitions arrivent vite. Les cellules, avec  2 à 3 détenus,  sont étroites, sombres et bruyantes. Les détenus, n'ayant  pas le droit de s'allonger le jour, tournent en rond, rien pour s'occuper, la journée est longue :  on attend le jus du matin et la soupe du midi et du soir avec un morceau de pain, et  tout doit être très propre.  Un seau d'eau pour la journée pour tout faire :  boire, laver et nettoyer le tinettes. La notion de temps est floue car les carreaux sont opaques. Seuls moments attendus, la  douche froide  et une sortie d'un quart d'heure dans la courette, par semaine  ; là, on arrive à communiquer un minimum, échanger quelques mots,  à se tenir au courant de la vie des prisonniers. C'est aussi le cas  lors de la distribution des repas réalisés par des prisonniers  comme  Guy de Saint Pol chargés de ce travail, ainsi on échange ou  on transmet un court  message à un camarade emprisonné.

Les prisonniers  parviennent à obtenir  de rares  contacts avec l'extérieur. Très exceptionnellement, ils peuvent avoir une visite, mais c'est surtout le jeudi,  jour des échanges linge sale contre linge propre, qui représente une occasion d'essayer de laisser passer de courts messages bien cachés, écrits parfois avec son sang. De même il pouvait aussi recevoir des colis de nourriture.

 

Les prisonniers : isolés ou en cellule ?

Les premiers arrêtés en mars et avril 1944 seront mis  à l'isolement ( Douin, Gaby et Saint Pol) ; pour De Saint Pol, son fils témoigne : " Après avoir passé 47 jours à l'isolement avec pour nourriture jus de choux et pain sec, il écrira avoir regagné une cellule "normale" avec d'autres prisonniers." Cela signifie que vers le 3 mai 1944, il se retrouve avec deux autres prisonniers probablement cellule 28 .

Quelques jours plus tard, a lieu la dernière vague d'arrestation des groupes de Villers Bocage et Saint Laurent-Vierville. On pense qu'ils ont été mis dans des cellules collectives. Dans son ouvrage "le réseau alliance" Guy Caraes indique des numéros de cellule : Désiré Lemière : cellule 4, René Loslier : cellule 22, Joseph Langeard :cellule 4, Thomine: cellule 13 avec Arthur Collard.

Peut-être que les prisonniers de la seconde vague d'arrestations  ont été plus ou moins en contact les uns avec les autres, ont-ils appris ce que les premiers  prisonniers avaient indiqué aux allemands ce qui  aurait pu diriger leur interrogatoire ?


Les interrogatoires 

  Parfois, des détenus sont extraits de leur cellule pour être interrogés par la Gestapo, rue des Jacobins, , "la séance du tribunal" selon les prisonniers qui savent qu'ils vont  connaitre un long moment terrible et redouté. Arrivés, ils attendent longuement menottés à un radiateur, puis ils entrent dans une pièce capitonnée avec, au centre, une chaise et une table. Dessus le matériel des bourreaux:  barres de caoutchouc, nerfs de bœuf, ... Ils en ressortent anéantis, meurtris et ensanglantés, ce que verront leurs camarades lors de la douche.
Il est difficile d'évoquer ces tortures d'autant que "que les prisonniers évitaient de dire à leur famille les violences qu'ils subissaient". Toutefois quelques rares brefs témoignages sont parvenus.

Robert Douin il est aperçu dans les douches  par un autre détenu, celui-ci  explique qu''il marchait difficilement, le dos vouté, un bras cassé" et qu'il lui a dit : " Ne parle jamais !".

Jean  Caby : Son épouse Marcelle  a aussi été arrêtée mais  relâchée le 11 mai. Ensuite, elle a pu voir son mari à l'hôpital où il a été emmené suite aux tortures subies : elle a vu les blessures qu'il portait, en particulier, à la tête, suite au "supplice du casque".

Désiré Lemièretémoignage de sa fille Simone : Périodiquement, on le transférait rue des Jacobins. Là, il était torturé. On raconte qu'à chaque sortie de cette odieuse maison, "le sang lui pissait au bout des doigts ! ".


COMPLEMENT : Les témoignages sur la vie en prison

Sources

Ouvrages
Massacres nazis en Normandie de J Quellien et J Vico
Dictionnaire du Calvados occupé d'Yves Lecouturier

Site web D Letouzey :
http://sgmcaen.free.fr/resistance/maison-centrale-beaulieu.htm
http://sgmcaen.free.fr/resistance/maison-darret.htm



Témoignage de la famille de Guy de Saint Pol

 Famille de Guy de Saint Pol,

par Marc-Antoine de Saint Polmadesaintpol@orange.fr


NOTES

Le livre "Massacre en Normandie ", donne déjà des éléments sur la vie de résistant et de prisonnier de mon père. Sur le site de l'Association L'ALLlANCE (reseaualliance.org) figure une biographie de Guy de Saint Pol. Mes parents ont laissé beaucoup d'archives écrites. Ma mère ne nous a pas laissé de témoignages oraux puisqu'elle est décédée accidentellement le 20 juin 1950. Les éléments que je communique maintenant sont moins connus et peuvent intéresser d'autres familles. Mon père approché par Caby qu'il connaissait bien est entré dans le réseau en mai 1942. En mai 1943 il a reçu trois fois la visite des allemands qui ont fouillé de fond en comble la maison, sans succès. La ferme voisine de Piquenard a subit les mêmes fouilles.
Dans la retranscription n° 22097 Guy de saint Pol y est désigné comme intermédiaire (passeur d'agent). Cela fait allusion au passage de Havart chez mon père. Mais durant cette guerre, un certain nombre de personnes sont passées chez lui à Amayé sur Seulles.


1 / En juin 43, mon père a hébergé deux frères, Jean et Pierre Wichasky qui fuyaient le STO. Il les connaissait car ils venaient de Thouaré sur Loire où habitait sa mère (Loire-Atlantique). En septembre, leur présence commençant à se savoir, Ils décidèrent de partir et vécurent dans la clandestinité jusqu'en 1944, année durant laquelle ils s'engagèrent dans l'armée française.
Ma grande mère, très éprouvée par les deux guerres, n'a pas eu le cœur de m'en parler. Je |'ai appris en décembre 2009 et j'ai pu échanger avec l'un d'entre eux.

2/ La présence d'Havart chez Guy de Saint Pol est pour moi une découverte. Comment Havart qui fuyait sa région d'Amiens où il était activement recherché par la gestapo, est-il arrivé chez mon père à Amayé ? D'après l'interrogatoire ils ne se connaissaient pas. Il avait sans doute su que Guy de Saint Pol était agent du même réseau et habitait dans un lieu suffisamment isolée pour qu'il puisse y trouver refuge quelque temps. Havart est resté 3 à 4 semaines dans la ferme de Livry.

La dénomination de "ferme de Livry " que l'on trouve dans des rapports allemands, n'est pas exacte. Il était réfugié dans une petite ferme appartenant à G.de Saint Pol située sur la commune d'Amayé sur seulles au lieudit "la vallée "en bordure de la Seulles laquelle délimite les deux communes d'Amayé et de Livry. De là, le centre du bourg de Livry est plus proche que le centre du bourg d'Amayé, d'où sans doute la dénomination de "ferme de Livry".


3/ Le 4 octobre 1943 un bombardier américain B 17, à cour de carburant, s'est écrasé sur la commune de Cahagnes mitoyenne de la commune d'Amayé sur Seulles. Mon père a recueilli, caché, habillé et nourri deux aviateurs, Harold Curtis et Harold Helstrom, durant quelques jours. Ensuite l'instituteur, Julien Favre, les aurait cachés 60 jours dans les locaux de la mairie à Onde-Fontaine. Ils regagnèrent l'Angleterre via Paris et l'Espagne, vraisemblablement par la filière du Réseau Marie-Odile. Nous sommes sûrs de leur retour aux États Unis car le 3 juillet 1946, H. Curtis écrivait à ma mère pour la remercier, ayant appris le massacre de Caen. Suite à leur demande mon père reçu à titre posthume la "Médaille de la Liberté". Les informations sur l'histoire de l'équipage de ce bombardier B-17, «Badger's Beauty V ", et sur les réseaux d'exfiltration qui œuvraient en Normandie, m'ont été communiqués par le Professeur Gérard Fournier (Cf La conférence qu'il a donné le 13 octobre 2020).




TEMOIGNAGES


  • Période internement.
Lorsque mon père partait faire de l'observation notamment la nuit sur la ligne de chemin de fer Caen-Cherbourg ou des relevés de défenses ennemies, il allait généralement se reposer chez son ami Guy du Plessis qui était directeur du Trésor à la Banque de France de Caen de 1939 à 1945. Parlant l'allemand, ce dernier s'est rendu plusieurs fois à la prison pour apporter des colis de nourriture à mon père. Il fût l'interprète de ma mère auprès de l'aumônier de la prison qui était allemand. Durant la période d'interrogatoire, mon père fût mis à l'isolement, comme Caby et Douin, dans un cachot insalubre, sans aération ni lumière. Dans le rapport final (paragraphe 5), l'interrogatoire de mon père est qualifié de très difficile. Il écrira avoir beaucoup souffert de la faim, mais je pense que les prisonniers évitaient de dire à leur famille les violences qu'ils subissaient. Beaucoup de prisonniers communiquaient avec leur famille par des petits papiers de toilette griffonnés avec une mine de crayon et glissés dans les doublures des chemises car on pouvait donner son linge à laver à sa famille et recevoir des colis de nourriture par l'intermédiaire d'un gardien appelé PP (petit père). Après avoir passé 47 jours à l'isolement avec pour nourriture jus de choux et pain sec, il écrira avoir regagné une cellule "normale" avec d'autres prisonniers. J'ai découvert en 1998, grâce à Jean-Pierre Hébert, que "H ", mentionné dans les écrits de mon père, était son oncle Jean Hébert(1). A travers les écrits "chiffonnés " de "H " et de mon père il est difficile de s'y retrouver sur l'occupation des cellules "5" et "28", car les écrits ne correspondent pas toujours. D'après les écrits de J. Hébert, dans la "5" il y aurait eu à un moment lui-même, Camille Blaisot (2), et Fernand Coudrey (3). C. Blaisot serait parti le 20 mai en même temps qu'André Coudrey (4) pour le camp de Compiègne. De là ils seront déportés en Allemagne. D'après ses écrits, mon père serait arrivé le 3 mai dans une cellule (la "28 " m'apprendra Jean-Pierre Hébert) où il y avait André Coudrey (mon père cite aussi Fernand Coudrey ?) et "H" arrivé plus tard. Il y a eu des transferts entre les cellules "5"vet "28 ".

Ce qui est sûr c'est que Jean Hébert et mon père étaient à partir du 24 mai seuls dans la cellule "28" suite au départ de Fernand Coudrey directement pour l'Allemagne le 23 ou 24 mai. Mon père écrira que ses camarades de cellule "F.C." et "A.C" › et "J.H." l'ont remis sur pieds grâce aux plats qu'ils recevaient de leurs familles, notamment le lapin préparé par la mère de Jean que mon père appréciait particulièrement. Mon père écrira le 24 mai que c'était le "grand confort" car il était seul avec "H". Il demandera à ma mère de contacter la mère de Jean pour lui remettre un mot de son fils, l'adresse devant lui être donnée par Madame Lallier ou le Curé de Saint Jean-Eudes. Ce doit être le courrier que détient Jean-Pierre Hébert. D'après mon père, les Frères Coudrey étaient contents de quitter la prison de Caen car ils estimaient que cela leur donnerait l'occasion de s'évader. D'autres prisonniers comme mon père vivaient plutôt dans l'espoir de la libération par les Alliés qu'il pensait très prochaine, et ne souhaitait pas être transféré.


Mon père et son camarade Jean, passèrent travailleur au 3ème étage pour balayer et laver. Cela, écrit-il, lui donne plus de liberté. Il le devait au P.P. un des gardiens français de la prison que ma mère connaissait.

Dans l'extrait du livre "Massacres nazis en Normandie" page 55 : "Vers midi, la soupe est distribuée aux survivants par Guy de Saint Pol, accompagné d'un jeune homme poussant la roulante ", le jeune homme n'est autre que Jean Hébert. Tous deux, occupèrent seuls la cellule "28" jusqu'au drame. Ensemble ils partagèrent la nourriture transmise par leurs familles, ensembles ils priaient, ensembles le 6 juin 44, ils quittèrent la cellule et l'un derrière l'autre ils descendirent les dernières marches conduisant à la courette.



(1)Jean Hébert, né le 13.1. 1926 est entré dans le groupe FTP de Caen à la fin de l'année 1943, il n'avait pas 18 ans. Il est arrêté le 11 février 1944 par un inspecteur de police français, et livré aux allemands. Avec Désiré Renouf et Colbert Marié ils furent à 18 ans les trois plus jeunes résistants fusillés le 6 juin. Jean Hébert n'a pas de lien familial les autres résistants "Hébert" figurant dans le "Livre Mémorial" du Conseil Général du Calvados, ni avec la famille Hébert de la ferme de Maizières (Cf. livre «Si près de la Liberté " par Gérard Fournier).
(2) Camille Blaisot, député du Calvados, ministre, arrêté le 2 mars 44, il meurt à Dachau le 24janvier 45.
(3) Fernand Coudrey né le 3.6.1898 était aussi du réseau «Zéro France " et d'autres réseaux O.M.C., Centurie, arrêté le 12 oct. 43, déporté et libéré au printemps 45. Fernand Coudrey rentré de déportation témoignera de la présence de Jean Hébert à la maison d'arrêt de Caen.
(4) André Coudrey né le 11.7.1910 était du réseau "Zéro France", arrêté le 25 avril 44, déporté, meurt le 24 avril 45 à Saschsenhausen.



Voici un autre témoignage, assez surprenant de mon père qui avait organisé une visite de sa femme à la prison pour la voir de loin,... .Je cite : "Si tu viens lundi à Caen pour le colis, je pourrai te voir par la fenêtre de ma nouvelle cellule. Tu prendras la rue à gauche juste avant celle de ... Je vois par la fenêtre la maison n°21, tu passeras donc sur ce trottoir. Je suis à la première fenêtre du 3ème étage à partir de l'angle des 2 corps de bâtiments. Je te ferai donc signe entre 2 et 3 heures à cette fenêtre. Ne fais aucun signe surtout (tu te ferais arrêtée). Fais semblant de ramasser quelque chose à terre, ce sera le signe que tu m'as vu. Ne reste pas longtemps. Passes deux fois c'est tout. Si je ne te vois pas le lundi 29, ce sera le jeudi après le colis de linge. Mais je compte sur toi le lundi. Je te verrai certainement mieux que tu me verras. Ce sera une telle joie pour moi, petite chérie ! ...." .
On n'a jamais su s'ils s'étaient entrevus.




  • Après le 6 juin 44.
Dans le triangle, Villers-Bocage, Caumont l'Eventé et Tilly sur Seulles, les combats furent particulièrement violents et ma grand-mère dira avoir vu passer et repasser les soldats allemands et les anglais en quelques jours. La propriété de mes parents était située entre les hauteurs du bourg d'Amayé et de celles du bourg d'Anctoville. Les tirs d'obus passaient au-dessus, sauf un "un raté" qui traversa le toit. En juin 44 il y avait 26 personnes réfugiées dans les sous-sols de la propriété de mes parents, des familles de Villers-Bocage et d'Amayé : famille Levêque grands-parents, parents, enfants, famille Weiman, famille Delalande, famille Level, des personnes qui travaillaient pour ma mère sur l'exploitation, ma sœur de 5 ans de plus que moi et ma grand-mère Saint Pol venue chez ma mère pour la seconder depuis l'arrestation de son fils. Dans ce sous-sol aux trois- quarts enterré avec des soupiraux, tous les soirs on étalait les matelas. Heureusement il y avait pour tous les produits de la ferme, lait, beurre, volailles, fruits et légumes du jardin.


L'exode.
 La bataille dite "Bataille de Villers", dont on ne manque pas de récit ("La percée du Bocage" Album Mémorial Stéphane Jacquet éditions Heimdal) était si intense que les habitants d'Amayé et d'autres communes voisines reçurent par l'intermédiaire de leur Maire, Monsieur Delalande à Amayé sur Seulles, l'ordre d'évacuer le 7 juillet 44. Un convoi de 23 personnes du village s'était constitué avec pour matériel une carriole attelée avec le cheval de M. Delalande, des petites charrettes à bras et une vache pour nourrir les plus petits dont je faisais partie. ll se dirigeait vers Pont d'Ouilly dans l'Orne de l'autre côté du mont Pinçon, point culminant du Calvados (365m), où nous avions de la famille. Arrivés à Cahan, pour être à l'abri des bombardements nous dormions dans un petit tunnel qui servait à alimenter en eau un bras artificiel du Noireau, qui pour la circonstance avait été asséché. Ce n'est qu'à la mi-septembre que nous, grand-mère, mère, sœur et moi, regagnâmes Amayé.


L'annonce du massacre.
La Croix-Rouge avait pour mission d'effectuer les recherches sur les personnes disparues. Une sœur de ma grand-mère fit une demande auprès du délégué départemental de la Croix Rouge qu'elle connaissait en Loire-inférieure. Elle obtint une réponse par un message télégraphique le 23 août 44 : "Guy de Saint Pol libéré en juillet à Compiègne et évacué dans le Nord ".
Le 13 septembre ma grand-mère reçoit le courrier de confirmation qu'elle réexpédie à sa fille, ma mère. Elle le reçoit le 18 septembre tout juste rentrée l'exode, et c'est au même moment qu'elle appris, je ne sais comment, ni par qui, la nouvelle du massacre. Elle écrivit au délégué de la Croix Rouge le 30 septembre qui lui fit une réponse d'excuses. Tout cela laisse à penser de la grande confusion qui régnait à cette époque.


Le dossier de veuve de guerre.
Il n'est pas inutile de rappeler ce que fût le long et douloureux parcours des veuves de guerre pour obtenir la reconnaissance de leur statut. A titre d'exemple celui de ma mère:

Décembre 44, premier contact avec le service social du réseau, 63 avenue des Champs Elysée, Association Amicale Alliances, A.A.A.
Une première aide financière en février 1945. Ma mère était aidée par au moins deux personnes pour le travail de l'exploitation.
Pour la constitution du dossier elle a dû aller au moins deux fois à Paris. Comme toutes les autres familles, il lui fallait justifier de son statut de veuve de guerre, ce qui n'est pas facile quand il n'y a pas de certificat de décès :
-Attestation d'appartenance au réseau mars 1946 par Marie-Madeleine Fourcade.
-Certificat de service du 6 mai 1946, signé du Field Marschal Montgommery.
-Certificat du surveillant de la maison d'arrêt, Pierre Mahé, de novembre 1946.
-Certificat du surveillant chef du7 nov.1946 : "M. de Saint Pol détenu par les allemands et fût vraisemblablement exécuté par ces derniers le 6 juin 1944... "

Il y a toujours un papier qui manque !!!
-Certificat de non divorce décembre 1946.
-Notification du Ministère de la défense nationale (F.F.C.l.) du 4 mars 1947 de l'homologation du grade de sous-lieutenant par décret du 12 février 1947.
-Avis Officiel de Décès-Mort pour la France- du 6 août 1947.
Information du Centre d'Administration Territorial de Rennes du 22 août 1947 que la pension de veuve de guerre a pris effet le 31 juillet 1947
-Attestation d'appartenance aux F.F.C. qui ne fût délivrée que le 23 juin 1949.


Vint ensuite la reconnaissance pour l’honneur par Nomination, Légion d'Honneur (décret 11 janvier 1961), Croix de Guerre avec palme, Médaille de la Résistance et "Medal of Freedom " en octobre 1946.

Témoignage Saint Pol prison de Caen

  Famille de Guy de Saint Pol,

par Marc-Antoine de Saint Polmadesaintpol@orange.fr


NOTES

Le livre "Massacre en Normandie ", donne déjà des éléments sur la vie de résistant et de prisonnier de mon père. Sur le site de l'Association L'ALLlANCE (reseaualliance.org) figure une biographie de Guy de Saint Pol. Mes parents ont laissé beaucoup d'archives écrites. Ma mère ne nous a pas laissé de témoignages oraux puisqu'elle est décédée accidentellement le 20 juin 1950. Les éléments que je communique maintenant sont moins connus et peuvent intéresser d'autres familles. Mon père approché par Caby qu'il connaissait bien est entré dans le réseau en mai 1942. En mai 1943 il a reçu trois fois la visite des allemands qui ont fouillé de fond en comble la maison, sans succès. La ferme voisine de Piquenard a subit les mêmes fouilles.
Dans la retranscription n° 22097 Guy de saint Pol y est désigné comme intermédiaire (passeur d'agent). Cela fait allusion au passage de Havart chez mon père. Mais durant cette guerre, un certain nombre de personnes sont passées chez lui à Amayé sur Seulles.


1 / En juin 43, mon père a hébergé deux frères, Jean et Pierre Wichasky qui fuyaient le STO. Il les connaissait car ils venaient de Thouaré sur Loire où habitait sa mère (Loire-Atlantique). En septembre, leur présence commençant à se savoir, Ils décidèrent de partir et vécurent dans la clandestinité jusqu'en 1944, année durant laquelle ils s'engagèrent dans l'armée française.
Ma grande mère, très éprouvée par les deux guerres, n'a pas eu le cœur de m'en parler. Je |'ai appris en décembre 2009 et j'ai pu échanger avec l'un d'entre eux.

2/ La présence d'Havart chez Guy de Saint Pol est pour moi une découverte. Comment Havart qui fuyait sa région d'Amiens où il était activement recherché par la gestapo, est-il arrivé chez mon père à Amayé ? D'après l'interrogatoire ils ne se connaissaient pas. Il avait sans doute su que Guy de Saint Pol était agent du même réseau et habitait dans un lieu suffisamment isolée pour qu'il puisse y trouver refuge quelque temps. Havart est resté 3 à 4 semaines dans la ferme de Livry.

La dénomination de "ferme de Livry " que l'on trouve dans des rapports allemands, n'est pas exacte. Il était réfugié dans une petite ferme appartenant à G.de Saint Pol située sur la commune d'Amayé sur seulles au lieudit "la vallée "en bordure de la Seulles laquelle délimite les deux communes d'Amayé et de Livry. De là, le centre du bourg de Livry est plus proche que le centre du bourg d'Amayé, d'où sans doute la dénomination de "ferme de Livry".


3/ Le 4 octobre 1943 un bombardier américain B 17, à cour de carburant, s'est écrasé sur la commune de Cahagnes mitoyenne de la commune d'Amayé sur Seulles. Mon père a recueilli, caché, habillé et nourri deux aviateurs, Harold Curtis et Harold Helstrom, durant quelques jours. Ensuite l'instituteur, Julien Favre, les aurait cachés 60 jours dans les locaux de la mairie à Onde-Fontaine. Ils regagnèrent l'Angleterre via Paris et l'Espagne, vraisemblablement par la filière du Réseau Marie-Odile. Nous sommes sûrs de leur retour aux États Unis car le 3 juillet 1946, H. Curtis écrivait à ma mère pour la remercier, ayant appris le massacre de Caen. Suite à leur demande mon père reçu à titre posthume la "Médaille de la Liberté". Les informations sur l'histoire de l'équipage de ce bombardier B-17, «Badger's Beauty V ", et sur les réseaux d'exfiltration qui œuvraient en Normandie, m'ont été communiqués par le Professeur Gérard Fournier (Cf La conférence qu'il a donné le 13 octobre 2020).




TEMOIGNAGE PERIODE D'INTERNEMENT 

Lorsque mon père partait faire de l'observation notamment la nuit sur la ligne de chemin de fer Caen-Cherbourg ou des relevés de défenses ennemies, il allait généralement se reposer chez son ami Guy du Plessis qui était directeur du Trésor à la Banque de France de Caen de 1939 à 1945. Parlant l'allemand, ce dernier s'est rendu plusieurs fois à la prison pour apporter des colis de nourriture à mon père. Il fût l'interprète de ma mère auprès de l'aumônier de la prison qui était allemand. Durant la période d'interrogatoire, mon père fût mis à l'isolement, comme Caby et Douin, dans un cachot insalubre, sans aération ni lumière. Dans le rapport final (paragraphe 5), l'interrogatoire de mon père est qualifié de très difficile. Il écrira avoir beaucoup souffert de la faim, mais je pense que les prisonniers évitaient de dire à leur famille les violences qu'ils subissaient. Beaucoup de prisonniers communiquaient avec leur famille par des petits papiers de toilette griffonnés avec une mine de crayon et glissés dans les doublures des chemises car on pouvait donner son linge à laver à sa famille et recevoir des colis de nourriture par l'intermédiaire d'un gardien appelé PP (petit père). Après avoir passé 47 jours à l'isolement avec pour nourriture jus de choux et pain sec, il écrira avoir regagné une cellule "normale" avec d'autres prisonniers. J'ai découvert en 1998, grâce à Jean-Pierre Hébert, que "H ", mentionné dans les écrits de mon père, était son oncle Jean Hébert(1). A travers les écrits "chiffonnés " de "H " et de mon père il est difficile de s'y retrouver sur l'occupation des cellules "5" et "28", car les écrits ne correspondent pas toujours. D'après les écrits de J. Hébert, dans la "5" il y aurait eu à un moment lui-même, Camille Blaisot (2), et Fernand Coudrey (3). C. Blaisot serait parti le 20 mai en même temps qu'André Coudrey (4) pour le camp de Compiègne. De là ils seront déportés en Allemagne. D'après ses écrits, mon père serait arrivé le 3 mai dans une cellule (la "28 " m'apprendra Jean-Pierre Hébert) où il y avait André Coudrey (mon père cite aussi Fernand Coudrey ?) et "H" arrivé plus tard. Il y a eu des transferts entre les cellules "5"vet "28 ".

Ce qui est sûr c'est que Jean Hébert et mon père étaient à partir du 24 mai seuls dans la cellule "28" suite au départ de Fernand Coudrey directement pour l'Allemagne le 23 ou 24 mai. Mon père écrira que ses camarades de cellule "F.C." et "A.C" › et "J.H." l'ont remis sur pieds grâce aux plats qu'ils recevaient de leurs familles, notamment le lapin préparé par la mère de Jean que mon père appréciait particulièrement. Mon père écrira le 24 mai que c'était le "grand confort" car il était seul avec "H". Il demandera à ma mère de contacter la mère de Jean pour lui remettre un mot de son fils, l'adresse devant lui être donnée par Madame Lallier ou le Curé de Saint Jean-Eudes. Ce doit être le courrier que détient Jean-Pierre Hébert. D'après mon père, les Frères Coudrey étaient contents de quitter la prison de Caen car ils estimaient que cela leur donnerait l'occasion de s'évader. D'autres prisonniers comme mon père vivaient plutôt dans l'espoir de la libération par les Alliés qu'il pensait très prochaine, et ne souhaitait pas être transféré.


Mon père et son camarade Jean, passèrent travailleur au 3ème étage pour balayer et laver. Cela, écrit-il, lui donne plus de liberté. Il le devait au P.P. un des gardiens français de la prison que ma mère connaissait.

Dans l'extrait du livre "Massacres nazis en Normandie" page 55 : "Vers midi, la soupe est distribuée aux survivants par Guy de Saint Pol, accompagné d'un jeune homme poussant la roulante ", le jeune homme n'est autre que Jean Hébert. Tous deux, occupèrent seuls la cellule "28" jusqu'au drame. Ensemble ils partagèrent la nourriture transmise par leurs familles, ensembles ils priaient, ensembles le 6 juin 44, ils quittèrent la cellule et l'un derrière l'autre ils descendirent les dernières marches conduisant à la courette.



(1)Jean Hébert, né le 13.1. 1926 est entré dans le groupe FTP de Caen à la fin de l'année 1943, il n'avait pas 18 ans. Il est arrêté le 11 février 1944 par un inspecteur de police français, et livré aux allemands. Avec Désiré Renouf et Colbert Marié ils furent à 18 ans les trois plus jeunes résistants fusillés le 6 juin. Jean Hébert n'a pas de lien familial les autres résistants "Hébert" figurant dans le "Livre Mémorial" du Conseil Général du Calvados, ni avec la famille Hébert de la ferme de Maizières (Cf. livre «Si près de la Liberté " par Gérard Fournier).
(2) Camille Blaisot, député du Calvados, ministre, arrêté le 2 mars 44, il meurt à Dachau le 24janvier 45.
(3) Fernand Coudrey né le 3.6.1898 était aussi du réseau «Zéro France " et d'autres réseaux O.M.C., Centurie, arrêté le 12 oct. 43, déporté et libéré au printemps 45. Fernand Coudrey rentré de déportation témoignera de la présence de Jean Hébert à la maison d'arrêt de Caen.
(4) André Coudrey né le 11.7.1910 était du réseau "Zéro France", arrêté le 25 avril 44, déporté, meurt le 24 avril 45 à Saschsenhausen.



Voici un autre témoignage, assez surprenant de mon père qui avait organisé une visite de sa femme à la prison pour la voir de loin,... .Je cite : "Si tu viens lundi à Caen pour le colis, je pourrai te voir par la fenêtre de ma nouvelle cellule. Tu prendras la rue à gauche juste avant celle de ... Je vois par la fenêtre la maison n°21, tu passeras donc sur ce trottoir. Je suis à la première fenêtre du 3ème étage à partir de l'angle des 2 corps de bâtiments. Je te ferai donc signe entre 2 et 3 heures à cette fenêtre. Ne fais aucun signe surtout (tu te ferais arrêtée). Fais semblant de ramasser quelque chose à terre, ce sera le signe que tu m'as vu. Ne reste pas longtemps. Passes deux fois c'est tout. Si je ne te vois pas le lundi 29, ce sera le jeudi après le colis de linge. Mais je compte sur toi le lundi. Je te verrai certainement mieux que tu me verras. Ce sera une telle joie pour moi, petite chérie ! ...." .
On n'a jamais su s'ils s'étaient entrevus.



LIRE LA SUITE DE CE TEMOIGNAGE  => après le 6 juin 1944

le 6 juin 1944 : prison de Caen

 le  6 juin  1944, prison de Caen

  • Les instructions allemandes en cas débarquement

    En cas de débarquement, le commandant allemand de la prison doit  appliquer les consignes prévues en cas d'alerte :
    - envoyer tous les prisonniers de la Gestapo en Allemagne afin d'éviter qu'ils ne tombent aux mains des Alliés.
    -Pour les autres détenus, en attente d'être jugés par les tribunaux de la Wehrmacht, deux possibilités selon la gravité des accusations qui pèsent contre eux, soit la en déportation vers l'Allemagne , soit la liberté

  • 5/6 Juin 1944 : une nuit d'alerte maximale
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 à Caen, personne ne dort malgré le couvre-feu, en effet  on entend le vacarme des bombardements sur la côte sur le mur de l'Atlantique, pense-t-on.  Toutefois, cette nuit là, les explosions durent anormalement ce qui déclenche une alerte dans la  de  nuit vers  2 heures trente avec des sirènes qui hurlent, inquiétant.
Vers 4 heures, le capitaine Hoffmann, commandant allemand de la maison d'arrêt s'active, il sait qu'il doit, en cas d'alerte maximale, embarquer tous les prisonniers dans un train vers Belfort puis vers l'Allemagne.  Un appel de la Feldkommandatur  (quartier général des autorités allemandes) confirme les instructions, le départ est fixé à 9H10. Les gardiens réveillent les détenus pour qu'ils préparent leurs affaires pour partir.
 Le chef de la Gestapo Heyns est averti de la réalité du  débarquement et de la possibilité de l'arrivée rapide de l'ennemi à Caen, on pense  que la ville de Caen sera prise en fin de journée.... Aussi doit-il appliquer les instructions : trier et détruire les dossiers, rue des Jacobins avant  de s'enfuir vers Falaise.
Hoffmann téléphone à 7H30 à la Feldkommandatur pour demander confirmation de l'heure de départ, on lui répond :
-Réveillez-vous !  à 5 H, la gare a été détruite par les avions !
- Que faire des prisonniers ?
-Vous allez bientôt le savoir. Vos patrons sont en route.

En effet,  gare de Caen, bombardée par les Alliés, est totalement inutilisable. Les Allemands ne possèdent ni les camions ni le personnel nécessaire pour évacuer les prisonniers en toute sécurité.

Par ailleurs, en raison de l'impossibilité de trouver un moyen de transport, Heins suggère de libérer les prisonniers dont le cas est "bénin". Mais à 8 heures, une voiture arrive  à la prison avec  quatre agents de la Gestapo menés par Herbert von Bertholdi, dit" Albert", l'adjoint de Heins, Kurt Geisller  et deux policiers ( et peut-être aussi la présence  de Heyns ?)
Geisler s'adresse à Hoffmann:
-Nous venons fusiller les prisonniers relevant de votre service
-Mais l'ordre est de les évacuer
-Et comment ? plus de trains, pas de camion, pas d'hommes pour escorter! 
Où procéder aux exécutions?
-Je ne vois que les courettes de promenade
Geisller sort une liste de 50 noms. Des ordres fusent pour  ouvrir des fosses dans les massifs  de fleurs des courettes.

Qui a pris cette décision ? aucune certitude, mais probablement Heins, le chef de la Gestapo. Parmi les bourreaux on peut citer l'Hauptmann Hoffmann, le Feldwebel Gebauer, le Gefreiter Schneider et un détenu le sous-officier Schmitt de la 21. Panzer Division Source 
  • 6 juin 1944 : Les exécutions
Les Allemands décident donc d’exécuter les résistants considérés comme «des prisonniers dits dangereux,  Les Nazis ne voulaient pas laisser de traces derrière eux » indique l’historien Jean Quellien.. Selon les travaux de l’historien,  de 75 à 80 prisonniers  ont été assassinés dans la journée du 6 juin, en deux vagues de petits groupes  4 à 7 prisonniers : le matin  de  8 heure 30 à 12 heures et, après un pause le midi, reprise de  15h à 17 heures
Les portes des cellules s'ouvrent, des noms sont criés :
"les mains sur la tête ! Dehors, Vite! Inutile de prendre vos paquets".
Conduits dans les courettes de promenade de la prison, par groupes de 6 ou 8 , ils sont assassinés d'une rafale de mitraillette puis achevés d'un coup de pistolet par les hommes de la Gestapo. Tous font preuve d'un courage exemplaire.

Les courettes de la prison : extérieur & intérieur







Ainsi l'abbé Victor Bousso a le temps de bénir ses compagnons avant d'être abattu.
En fin de matinée, la tuerie semble terminée. Le calme revient dans la maison d'arrêt. 
Vers midi, la soupe est distribuée aux survivants par Guy de Saint Pol aux prisonniers, il est questionné :
-Que se passe-t-il ? Ils les ont fusillés ?
-Ne vous inquiétez pas ! Ce n'est rien. Il ne se passe rien du tout, croyez-moi.
-ils vont nous fusiller.
-Impossible, nous n'avons pas été jugés.

Mais vers 15 heures. "Albert " est de retour avec une nouvelle liste. L'agitation reprend au troisième étage du quartier allemand. Deux gardiens français ont réussi à entrevoir la tuerie. Par groupe de huit, les victimes avancent courageusement vers la mort et sont exécutées d'une rafale de mitraillette au fur et à mesure qu'ils franchissent la porte.

 Les corps des fusillés sont enterrés dans des tranchées creusées à la hâte et recouvertes de chaux qui auraient été numérotées 2 /3 /4 /5 . Les courettes sont nettoyées des traces de sang à coups de seau d'eau. Pendant la nuit des vagues de bombardement déferlent sur la ville, incendiée. Tous les prisonniers et les gardes allemands se réfugient dans la cave de la prison. Au matin, certains prisonniers sont remis en liberté, d'autres, une vingtaine de rescapés,  sont évacués, à pied, vers Paris.
Désormais la prison de Caen est vide.

Le 16 juin 1944, deux membres de la Gestapo se présentent au surveillant chef de la maison d'arrêt Albert Puydpin pour  réclamer  les effets personnels des détenus. Ils emportent tout : papiers et effets des détenus. Auparavant les registres  d'écrou de la prison avaient été détruits. Il ne reste donc aucune trace des détenus exécutes.


A la fin du mois de juin,  devant l’avancée des armées de libération, les responsables régionaux de la Gestapo donnent l’ordre de faire totalement disparaître les corps. Le SD (service de renseignement des SS)  veut faire  déterrer les corps pour masquer les preuves de ce crime de guerre.
Les Allemands passent à l’action le 29 juin. Ils font faire cette salle besogne par des Français. Ils n’ont plus de détenus à Caen. Ils en réquisitionnent huit à la prison des Ducs, à Alençon. Seuls deux survivront à la guerre.
Les cadavres sont exhumés et partent pour une destination, toujours inconnue aujourd'hui.


A noter que :
-Deux prisonniers sont miraculeusement épargnés: Marcel Barjaud suite, vraisemblablement, à une confusion de nom (le nom inscrit est "Mariaud"), et Jacques Collard, en raison de son jeune âge , il n'a que quinze ans.
-Le quartier des femmes ne sera pas épargné, probablement deux femmes sont exécutées. Lire  le Témoignage  sur la prison de Caen de Blanche Néel


  • Quelques extraits de témoignage 
    "Pendant les exécutions les condamnés n’ont pas crié, à l’exception d’un seul. Un homme amené dans la cour − et voyant sans doute les corps de ses camarades déjà exécutés − a hurlé d’une pauvre voix désespérée : « Oh ! non ! non ! Ma femme, mes enfants… mes enfants. » Il y eut une salve brève…"

    Le 22 mai 1944, Arthur Collard  du Réseau ARC-EN-CIEL  de Caen  et son fils Jacques sont arrêtés par les hommes de la Gestapo, renseignée par les agents infiltrés de l'Abwehr. Jacques témoigne: 
    "Le 6 juin, à 6H30, on vient chercher mes co-détenus de la cellule 13, dont Thomine, puis moi-même cinq minutes plus tard, et on nous fait descendre les mains en l'air pour procéder  à un appel des noms. Dix minutes se passent, puis : "En avant marche, les mains en l'air, vers les cours" dit le commandant. Nous repartons, un officier de la Wermacht dit :" Arrêtez" et appelle mon nom et celui d'un autre (M Barjaud). Nous restons  le long du mur pendant que les autres prisonniers continuent à marcher vers les cours. J'entends des coups de mitraillettes et je vois deux hommes  tomber. Quelques moments plus tard, je vois passer un autre groupe, puis trois autres. Parmi ces groupes, je reconnais Lelièvre, Primault, Thomine, Le comte De Saint Pol, Duval, Boulard."


    Dans le courant de la matinée, nous entendions les Allemands crier très fort et revenait tout le temps le mot "vite". Puis j'ai entendu les portes des cellules s'ouvrir et descendre les prisonniers. C'étaient ceux de la rangée de droite où se trouvait ma cellule. Puis quelque temps après, nous avons entendu le bruit de la fusillade. C'étaient des séries de 5 coups semblant être des coups de mitraillette séparées par des coups plus sourds comme des coups de revolver. Je suppose que ces 2 ou 3 coups étaient tirés pour achever les victimes. Je crois avoir entendu trois séries de coups de feu avant qu'on vienne me chercher moi-même, vers 10 heures. Le gardien a ouvert en même temps que ma cellule les 8, 10 et 11. Il nous a donné ordre de sortir les bras en l'air, il nous a fait placer face contre le mur. La cellule 7 a été ouverte elle aussi. I l s'y trouvait un Alsacien du nom de Mayer, beaucoup de mes camarades se méfiaient de lui, je crois à tort. Il est descendu seul peu de temps avant nous. Il y avait également Jacques Collard, Aubray, Lecomte, Le Goff et quatre autres dont j'ignore le nom mais l'un d'eux avait comme prénom Camille et était de St-Charles-de-Péray. Nous sommes tous descendus à la queue leu leu et nous sommes arrivés dans la galerie du rez-de-chaussée, près la rotonde, il y avait déjà une série de 4. L'adjudant m'a pris par les épaules et m'a placé avec les 4 pour les compléter, et nous sommes partis aux courettes. Pendant que je marchais, un officier m'a rattrapé et m'a demandé mon nom. Il a vérifié sur un cahier ou il n'a pas trouvé mon nom qu'il orthographiait mal. Il s'est mis en colère et m'a demandé si j'avais été arrêté par la Gestapo de la rue des Jacobins. Comme je lui répondais que c'était celle de la rue de Bonnieres, il m'a à nouveau pris par les épaules et m'a placé le long du mur, toujours les mains en l'air. Je ne connaissais aucun des 4 qui me précédaient. Peu de temps après, j'ai été rejoint par le petit Collard. J'ai entendu le bruit des coups de feu tirés sur les 4 qui étaient partis devant nous. Je suis resté collé au mur pendant environ une demi-heure pendant laquelle j'ai vu passer 2 groupes de 5 parmi lesquels j'ai reconnu Le Goff, Aubray Roger, Lecomte et le prénommé Camille. Après avoir été questionné par l'officier sur la date de mon arrestation, sur l'orthographe de mon nom, un gardien est venu me chercher de même que Collard et nous a remis dans nos cellules respectives, la 8 et la 9. Nous avons croisé une colonne de détenus qui descendaient et qui ont aussitôt reçu l'ordre de regagner leurs cellules... La soupe nous a été apportée par le comte de Saint-Pol et 2 détenus dont j'ignore les noms. J 'avais remarqué en passant devant les cellules que les étiquettes sur les portes avaient été enlevées.. Vers 2 heures 30, nous avons entendu le même bruit que le matin, les mêmes cris, et les pas des détenus puis le bruit de la mitraillette. Les series de coups de feu paraissaient plus longues.
    J'ai entendu dire par la suite que c'étaient des séries de 7... La fusillade s'est terminée vers 4 heures. Dans la la soirée, j'ai entendu à nouveau des détonations, 4 je crois.


  • Le rapport officiel  de  le gendarmerie daté du 28 juin 1944

                                 source : archives du Calvados


Source essentielle : 
-"Massacre nazis en Normandie, les fusillés de la prison de Caen ", par Jean Quellien et Jacques Vico

Témoignage de Blanche Néel Journée 6 juin1944 prison de Caen

Témoignage sur  le  6 juin  à la prison de Caen

Récit recueilli par Etienne Marie-OrléachTexte établi, présenté et annoté par Etienne Marie-Orléach
Relecture Maud Chatelain Source ; http://www.memoires-de-guerre.fr/?q=fr/archive/lange-de-la-prison/3901

Blanche Néel rédige ces quelques pages dans l’année qui suit la libération de la Normandie. L’Ange de la prison est un titre apposé par nos soins, reprenant simplement quelques mots du récit de Blanche Néel.

J’ai été arrêtée le 3 février 1944 à Mortain, à la place de mon mari qui avait pu prendre la fuite lorsque les agents de la Gestapo s’étaient présentés à notre domicile provisoire1. Je fus d’abord emprisonnée à Saint-Lô puis transférée quarante-huit heures plus tard à la prison de Caen.

Ma première cellule, dont j’ai oublié le numéro, était voisine de la cellule de la gardienne allemande, elle avait été occupée par Mme Desbouts, dont j’ai pris la place.
J’ai eu pour compagnes de captivité [:] une jeune fille hollandaise, Mlle Dreabeck, Mme Caby de Villers-Bocage et une jeune polonaise dont j’ai oublié le nom. Par la suite la gardienne m’a fait souvent changer de cellule, mais j’ai eu la consolation de rester presque toujours avec Mlle Dreabeck.
Mme Caby a été libérée en avril 1944, mais son mari a été fusillé le 6 juin 1944 dans la prison de Caen2.

Le 7 juin, lorsque les Allemands nous ont libérées, ils ont retenu Mlle Dreabeck qui a été déportée en Allemagne. Elle est morte à Ravensbrück, le jour même où le camp était libéré par les troupes soviétiques3.

Le 6 juin, étant de corvée, j’ai vu dans un couloir une femme française, soutenue par deux soldats allemands. À demi défaillante elle me dit : « Ils vont me fusiller »4. Elle fut entraînée vers la cour où les Allemands abattaient des prisonniers. Cette femme, dont j’ignore le nom, devait habiter rue d’Auge à Caen. Elle aurait été, à l’en croire, en relation avec un agent de la Gestapo.

P.-S.5 : À ma connaissance, dans le quartier des femmes, les Allemands n’ont pas rassemblé les femmes qui devaient être fusillées. Elles n’ont pas été mises en rangs. Il semble bien que les autorités de la prison ont choisi celles qu’il fallait exécuter et ils sont allés les chercher individuellement, une à une, dans leurs cellules. J’en trouve la preuve dans le fait que j’ai rencontré une seule femme que l’on conduisait à la mort. On nous a dit que deux ou trois femmes avaient été fusillées ; je n’ai pu en obtenir confirmation.

Celle que j’ai vue avait dit précédemment à des prisonniers : « J’ai été arrêtée par erreur. Je n’ai pas d’inquiétude. Je ne vais pas rester longtemps ici, mon “ami” est dans la police allemande, dans la Gestapo. Il est parti “en permission” en Allemagne voici quelques jours. À son retour, il me fera certainement libérer. »

Il y a tout lieu de penser que l’Allemand de la Gestapo avait commis quelque faute ou maladresse, qu’il avait été rappelé en Allemagne, que l’on avait arrêté son « amie », qui fut « supprimée » peut-être parce qu’on craignait qu’elle n’ait recueilli quelques confidences…

Après les exécutions, la gardienne allemande, sans donner évidemment d’explications, nous a offert les affaires personnelles de cette femme. Nous les avons, bien entendu, refusées.

Je n’ai pas vu les exécutions, mais, comme les autres prisonnières, j’ai entendu le matin les coups de feu qui ont repris dans la soirée vers 16 ou 17 heures environ (on nous avait pris nos montres...)6. Après les dernières salves, le soir, nous avons pu, Mlle Dreabeck et moi, ouvrir une petite fenêtre et regarder dans la cour où avaient eu lieu les exécutions. Nous avons vu des soldats allemands, sous la surveillance d’un gradé, laver un mur et un caniveau à grande eau pour faire disparaître les traces de sang. Le gradé, levant les yeux, nous a aperçues, il a hurlé des mots que nous avons mal compris. Évidemment, il nous ordonnait de refermer la fenêtre et de disparaître.

Pendant les exécutions les condamnés n’ont pas crié, à l’exception d’un seul. Un homme amené dans la cour − et voyant sans doute les corps de ses camarades déjà exécutés − a hurlé d’une pauvre voix désespérée : « Oh ! non ! non ! Ma femme, mes enfants… mes enfants. » Il y eut une salve brève…

Dans la soirée, la gardienne allemande a ouvert les portes de nos cellules. Cette femme, qui était parfaitement monstrueuse à l’égard des prisonnières, était alors blême et évidemment terrifiée.

Le matin, elle nous avait dit avec hauteur, mais aussi un certain tremblement dans la voix : « L’ennemi a débarqué sur les côtes, mais il a été repoussé… » Le soir, elle était presque aimable, elle nous rendit quelques affaires personnelles en soulignant : « L’armée allemande est honnête. »

Nous savions alors par le « téléphone » des prisons, par des mots chuchotés dans les couloirs que le Débarquement avait eu lieu. Nous entendions d’ailleurs les tirs d’artillerie, les bombardements et l’immense tumulte de la bataille toute proche. Dans l’après-midi, une agitation, confinant à l’affolement, avait régné dans la prison. Les Allemands déménageaient des archives, des dossiers. De toute évidence ils étaient pris de panique. Le repas du midi avait été distribué très tard. Le repas du soir ne fut pas distribué, car les portes des cellules ayant été ouvertes, on nous conduisit dans la rotonde de la prison (dont la coupole est vitrée). On nous rangea autour de la rotonde face au mur, avec interdiction de parler. Nous avons vécu là des heures d’atroce angoisse. Mlle Dreabeck priait à mi-voix, les prisonnières répondaient aux invocations.

Le soir, je ne peux préciser l’heure exacte, Caen subit un bombardement d’une terrifiante violence7. On nous fit descendre, avec gardienne et gardiens en armes, dans une sorte de cave, éclairée par une lanterne. Il y avait un peu de paille. Nous fûmes autorisées à nous asseoir. Dans la cave on amena quelques hommes – des prisonniers. L’un d’eux nous dit : « Ils nous ont conduits à la gare des cars pour nous faire prendre les autobus… Ils voulaient sans doute nous embarquer tous pour l’Allemagne8. Nous avons f…9 les moteurs en panne. Ils ne partiront pas. »

Les bombardements n’arrêtaient pas, le bruit de la bataille dura toute la nuit.

Tard dans la soirée nous avons entendu, dans le lointain, des tirs d’armes automatiques. Les prisonniers ont dit : « C’est des mitraillettes, les Anglais s’amènent. » Les Allemands entendaient aussi, [et] notre gardienne – pensant très certainement qu’elle risquait d’être à son tour prisonnière – était devenue aimable ! !

Vers 4 heures du matin, on nous fit remonter au rez-de-chaussée et mettre en rang par deux dans le couloir. Les portes s’ouvrirent. Je donnais le bras à Mlle Dreabeck, qui priait à haute voix. On fit signe d’avancer vers la cour, vers la rue… La gardienne allemande se tenait près de la dernière porte et serrait les mains en souriant.

Lorsque Mlle Dreabeck et moi sommes arrivées devant elle, elle prit Mlle Dreabeck par le bras disant : « Vous, par ici. » Je n’eus que le temps d’embrasser cette admirable et héroïque jeune fille – une sainte – que je ne devais, hélas, jamais revoir.

Est-ce parce que Mlle Dreabeck était hollandaise que la gardienne n’a pas voulu la libérer en France ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt que la gardienne exerçait une dernière et odieuse vengeance. Mlle Dreabeck parlait couramment l’allemand. Avec un extraordinaire courage elle prônait, en toute occasion, la défense des prisonnières, exprimait des doléances et protestait contre les procédés odieux de la gardienne.

Celle-ci devait haïr cette jeune fille qui appartenait à la noblesse hollandaise (elle était apparentée à la famille royale), cette jeune fille dont la distinction se manifestait jusque dans la misère de nos cellules. Elle haïssait aussi la force morale, le courage d’une prisonnière qui, dans l’extrême dénuement, sans pouvoir, sans autorité, osait parler au nom de la justice. C’est pourquoi la gardienne a décidé de la faire diriger vers d’autres prisons et vers l’Allemagne. J’ai su qu’en cours de route, Mlle Dreabeck avait tenté de s’enfuir en sautant d’un camion, mais qu’elle avait été rejointe par ses gardiens. Si l’on rend un pieux hommage aux fusillés de la prison de Caen, on se doit d’y associer l’hommage que mérite Dagmar Dreabeck, celle que dans nos cellules nous appelions « l’Ange de la prison »10.

P.-S. : La gardienne allemande habitait Stuttgart avant la guerre.

  • 1.Depuis le début de cette année 1944 les arrestations se multiplient, notamment dans la Manche. 634 arrestations sont ainsi dénombrées pour ce seul département durant ces premiers mois. Des coups de filet sont opérés dans l’optique de décapiter la Résistance.
  • 2.Jean Caby, alias Émouchet, du réseau de Résistance Alliance, est arrêté le 17 mars 1944 par des auxiliaires français de la Gestapo. Le 6 juin 1944 le service de sécurité policière allemande, via la voix de son chef Harald Heynz, ordonne l’exécution, à titre « préventif », des détenus de la prison caennaise. La prison compte alors entre ses murs une centaine d’hommes et une vingtaine de femmes. Caen ne se trouvant qu’à une douzaine de kilomètres des plages du Débarquement, les autorités allemandes liquideront entre 75 et 80 prisonniers, de peur qu’ils ne tombent aux mains des Alliés.
  • 3.La libération du camp intervient le 30 avril 1945. Sur la fin de vie de Dagmar Dreabeck, Antony Beevor reprend ces mêmes informations : A. BEEVOR, D-Day et la Bataille de Normandie, Paris, Calmann-Lévy, 2009, p. 165.
  • 4.Phrase soulignée dans le texte par Blanche Néel.
  • 5.Nous insérons ici ce post-scriptum (que Blanche Néel place à la fin du récit) car il apporte une série d’informations qui complètent celles du paragraphe précédent.
  • 6.Dès les premières heures de la matinée, vers 8 heures, les prisonniers sont amenés par petits groupes dans les cours de la promenade. Ils y sont froidement abattus. Les exécutions reprendront en début d’après-midi.
  • 7.La ville de Caen subit ce 6 juin 1944 plusieurs bombardements d’une extrême dureté. Le premier intervient en milieu de journée et touche principalement les quartiers Saint-Jean et Vaucelles. Comme ces deux quartiers sont assez éloignés de la prison, ce bombardement n’est pas mentionné par l’auteur. Vers 16 h 25, Caen est une nouvelle fois la cible des bombardiers alliés. Le centre-ville est alors anéanti. Dès les premières heures du 7 juin 1944, la capitale normande subit une nouvelle attaque aérienne. Plus de 700 civils perdront la vie à Caen durant ces deux journées de juin.
  • 8.Le dernier convoi de prisonniers parti de Caen, le 20 mai 1944, fut acheminé vers Compiègne et ensuite vers l’Allemagne. Puis, l’évacuation totale de la prison eut lieu le matin du 7 juin.
  • 9.Mot inachevé dans le texte car considéré comme trop familier. Nous supposons comme lecture : « Nous avons foutu les moteurs en panne. »
  • 10.Dagmar Dreabeck est née en 1906 à Maastricht, aux Pays-Bas. Le Livre mémorial des victimes du nazisme dans le Calvados nous apprend que Dagmar Dreabeck (Driebeck dans le livre) est une juive néerlandaise réfugiée dans la Manche. Les Allemands l’arrêtent le 23 février 1944 à Vergoncey, près d’Avranches, l’emprisonnent quelques mois à Caen, puis la déportent en Allemagne « en auto avec un monsieur et deux dames ». Cette information est présente dans sa fiche personnelle entreposée au Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) du Ministère de la Défense à Caen. Elle entre le 11 août 1944 au camp de concentration de Ravensbrück (cf. J. QUELLIEN (dir.), Livre mémorial des victimes du nazisme dans le calvados, Caen, Conseil Général du Calvados, Direction des archives départementales, 2004, p. 73).

Témoignage de Marcel Barjaud, 6 juin 1944, Prison de Caen

 Marcel Barjaud, incarcéré cellule 9



Marcel Barjaud commence à résister à l'occupant dès 1941 à Paris où il est né le 22 avril 1900. Il reproduit des cartes de France, avec le tracé des zones interdites par les Allemands. Arrivé à Caen, il devient le directeur de l'imprimerie Malherbe, 120 rue Saint Pierre,  et met ses talents d'imprimeur au service de l'OCM. Il fabrique de fausses cartes de travail, de fausses cartes de l'organisation Todt  permettant aux membres du réseau d'approcher des côtes afin d'y relever de précieux renseignements.

Marcel Barjaud rallie le réseau Turma-Vengeance puis le réseau Arc-en-Ciel. Il y fabrique des tracts et reproduit de nombreux plans. Il fait aussi imprimer des bons de soutien pour les maquis dans les locaux de son imprimerie. Le 23 mai 1944, il est arrêté par la Gestapo lors du démantèlement du réseau Arc-en-Ciel, et abondamment torturé.
Sorti sans ménagement de sa cellule le 6 juin 1944, il n'est pas exécuté comme 75 à 80 de ses camarades. Son nom n'était pas présent sur la liste donnée par la Gestapo ou alors fut mal orthographié. Il ne peut qu'assister, impuissant, au massacre de ses camarades.
Le lendemain, 7 juin, il est conduit à marche forcée. avec une vingtaine de résistants, en direction de Fresnes près de Paris. Torturé à nouveau, il est transféré début août à Villeneuve-Saint-Georges. Il fait partie de la liste des 300 otages désignés par les Allemands pour être fusillés en cas d'attentats contre des soldats allemands ou de soulèvement dans la capitale. Il est libéré par un coup de main des FFI

Son témoignage sur la journée du 6 Juin 1944

Dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons compris au bruit de la canonnade que le débarquement était commencé... Peu de temps après, vers 3 heures du matin, un gardien a ouvert la ponte des cellules et nous a crié des mots que nous avons interprétés comme voulant signifier qu'il fallait nous préparer. Nous nous sommes donc habillés et avons fait un paquet de nos affaires. J 'ai été tout de suite pessimiste. J'ai pu parler aux voisins de la cellule 10 par le tuyau du chauffage central. Il s'agissait de messieurs Lecomte et Aubray avec lesquels nous avons échangé nos impressions. Nous entendions un va-et-vient infernal dans la prison. Le réveil n'a pas sonné à 7 heures comme d'habitude et il n'y a pas eu de café à 8 heures. J 'ai remarqué en regardant par les fentes de la porte que des soldats examinaient les étiquettes placées sur les portes et mettaient sur la plupart un trait au crayon vert. Dans le courant de la matinée, nous entendions les Allemands crier très fort et revenait tout le temps le mot "vite". Puis j'ai entendu les portes des cellules s'ouvrir et descendre les prisonniers. C'étaient ceux de la rangée de droite où se trouvait ma cellule. Puis quelque temps après, nous avons entendu le bruit de la fusillade. C'étaient des séries de 5 coups semblant être des coups de mitraillette séparées par des coups plus sourds comme des coups de revolver. Je suppose que ces 2 ou 3 coups étaient tirés pour achever les victimes. Je crois avoir entendu trois séries de coups de feu avant qu'on vienne me chercher moi-même, vers 10 heures. Le gardien a ouvert en même temps que ma cellule les 8, 10 et 11. Il nous a donné ordre de sortir les bras en l'air, il nous a fait placer face contre le mur. La cellule 7 a été ouverte elle aussi. I l s'y trouvait un Alsacien du nom de Mayer, beaucoup de mes camarades se méfiaient de lui, je crois à tort. Il est descendu seul peu de temps avant nous. Il y avait également Jacques Collard, Aubray, Lecomte, Le Goff et quatre autres dont j'ignore le nom mais l'un d'eux avait comme prénom Camille et était de St-Charles-de-Péray. Nous sommes tous descendus à la queue leu leu et nous sommes arrivés dans la galerie du rez-de-chaussée, près la rotonde, il y avait déjà une série de 4. L'adjudant m'a pris par les épaules et m'a placé avec les 4 pour les compléter, et nous sommes partis aux courettes. Pendant que je marchais, un officier m'a rattrapé et m'a demandé mon nom. Il a vérifié sur un cahier ou il n'a pas trouvé mon nom qu'il orthographiait mal. Il s'est mis en colère et m'a demandé si j'avais été arrêté par la Gestapo de la rue des Jacobins. Comme je lui répondais que c'était celle de la rue de Bonnieres, il m'a à nouveau pris par les épaules et m'a placé le long du mur, toujours les mains en l'air. Je ne connaissais aucun des 4 qui me précédaient. Peu de temps après, j'ai été rejoint par le petit Collard. J'ai entendu le bruit des coups de feu tirés sur les 4 qui étaient partis devant nous. Je suis resté collé au mur pendant environ une demi-heure pendant laquelle j'ai vu passer 2 groupes de 5 parmi lesquels j'ai reconnu Le Goff, Aubray Roger, Lecomte et le prénommé Camille. Après avoir été questionné par l'officier sur la date de mon arrestation, sur l'orthographe de mon nom, un gardien est venu me chercher de même que Collard et nous a remis dans nos cellules respectives, la 8 et la 9. Nous avons croisé une colonne de détenus qui descendaient et qui ont aussitôt reçu l'ordre de regagner leurs cellules... La soupe nous a été apportée par le comte de Saint-Pol et 2 détenus dont j'ignore les noms. J 'avais remarqué en passant devant les cellules que les étiquettes sur les portes avaient été enlevées.. Vers 2 heures 30, nous avons entendu le même bruit que le matin, les mêmes cris, et les pas des détenus puis le bruit de la mitraillette. Les séries de coups de feu paraissaient plus longues.
J'ai entendu dire par la suite que c'étaient des séries de 7... La fusillade s'est terminée vers 4 heures. Dans la la soirée, j'ai entendu à nouveau des détonations, 4 je crois. Dans le courant de la nuit, je me rappelle avoir entendu le bruit d'une explosion. De bonne heure le mercredi matin, vers 4 heures, on ouvert les portes des cellules et j'ai entendu : vite, vite, partir, paquets ! ... Avant de quitter la prison dans la cour, le jeune André Jean, le fils d'un maire, a demandé si on allait les fusiller. Un officier a fait répondre que non, mais un adjudant de la prison a ajouté : si on avait dû vous faire fusiller, nous l'aurions fait hier, nous ne sommes pas à vingt de plus ou de moins...

Note d'après J Quellien : 
-Une mauvaise prononciation du nom de Barjaud ainsi qu'une faute d'orthographe à ce nom l'auraient sauvé : il aurait été inscrit sur le registre  " Barjand" ou Marjaud" et avec une prononciation allemande cela donne " Bariaud ou Mariaud", donc en  un moment  excitation et de précipitation, dans le doute Barjaud est mis  à l'écart et n'est pas exécuté.


Témoignage de Jacques Collard Journée du 6 juin 1944, prison de Caen

 JACQUES COLLARD, extrait du Mémorial  Alliance 


Témoignage de la journée du 6 juin 1944  de Jacques Collard, âgé de 15 ans, emprisonné.

Le 22 mai 1944, Arthur Collard du Réseau ARC-EN-CIEL de Caen et son fils Jacques sont arrêtés par les hommes de la Gestapo, renseignée par les agents infiltrés de l'Abwehr.

Jacques témoigne:
"Le 6 juin, à 6H30, on vient chercher mes co-détenus de la cellule 13, dont Thomine, puis moi-même cinq minutes plus tard, et on nous fait descendre les mains en l'air pour procéder à un appel des noms. Dix minutes se passent, puis : "En avant marche, les mains en l'air, vers les cours" dit le commandant. Nous repartons, un officier de la Wermacht dit :" Arrêtez" et appelle mon nom et celui d'un autre (M Barjaud). Nous restons le long du mur pendant que les autres prisonniers continuent à marcher vers les cours. J'entends des coups de mitraillettes et je vois deux hommes tomber. Quelques moments plus tard, je vois passer un autre groupe, puis trois autres. Parmi ces groupes, je reconnais Lelièvre, Primault, Thomine, Le comte De Saint Pol, Duval, Boulard."


Note : Jacques Collard fut sauvé, in extrémis, en raison de son jeune âge. Dans la nuit, en raison des bombardements et des incendies, les allemands  descendent avec les prisonniers restants dans les caves de la prison. Le lendemain à 4 heures et demie du matin, les prisonniers  sortent de la prison, et Arthur retrouve son fils Jacques. Plusieurs prisonniers sont relâchés  car le dossier le prescrivait en raison de faits mineurs liés à leur arrestation dont  Jacques (?), quelques prisonniers furent transférés. Le convoi d'une vingtaine de  prisonniers  marche vers Falaise  sous la surveillance d'une quarantaine d'Allemands.  
Les prisonniers sont requis à Argentan pour déblayer les ruines. Puis la pénible marche reprend et ils arrivent à Fresnes le 23 juin. Les hommes sont entassés dans de sinistres cachots et les interrogatoires et les tortures recommencent, notamment pour les résistants d'Arc -en-Ciel.
Les prisonniers vont connaître des fortunes très diverses. Arthur Collard est conduit un matin de juillet 1994 au Mont Valérien où il est fusillé. 


Complément : Arthur Collard ( le père de Jacques)
Employé de la Compagnie du gaz de Caen, Arthur Collard est également chef du réseau Arc-en-Ciel, dirigé dans le Calvados par Jean Héron (31 ans en 1940 - Organisation : Arc-en-Ciel - Domicile : Sarrebruck). Il est le frère du collaborateur Daniel Collard .

Arthur Collard  déploie une intense activité : recrutement de nombreux résistants, collecte de précieuses informations, fabrication de faux-papiers pour de jeunes gens gens réfractaires au STO. Le 3 mai 1944, avec l'aide d'un commando venu de Paris, cette organisation réussit un coup d'éclat, en abattant en pleine rue le sinistre Brière agent français de la Gestapo.
Les Allemands s'ingénient dès lors à laver cet affront. L'Abwehr, le service de contre-espionnage de l'armée allemande, manipulant l'un des membres du groupe, parvient à identifier la plupart de ses camarades. Le coup de filet lancé le 22 mai aboutit à l'arrestation d'une douzaine de personnes, dont Arthur Collard.

Momentanément épargné, il échappa au massacre des résistants internés à la prison de Caen le 6 juin. Mais ce répit fut de courte durée. Transféré à Fresnes, il fut fusillé en juillet au Mont Valérien.









Sources :
Massacres nazis en Normandie de J Quellien et Jacques Vico