Marie Madeleine Méric Fourcade

"Elle est le chef d'État-major, le pivot sans lequel rien ne peut tourner: elle a une mémoire d'éléphant, une prudence de serpent, un instinct de fouine, une persévérance de taupe et elle peut être méchante comme une panthère". (Citation de Loustaunau Lacau)


-Une jeunesse bourgeoise et anticonformiste
Marie-Madeleine Bridou, née à Marseille en 1909, est issue d'une vieille famille coloniale bourgeoise (son père est sous-directeur des Messageries maritimes). Elle a vécu jusqu'à l'âge de 10 ans en Chine et connait une enfance choyée à Shangaï, colonie britannique. Eduquée avec beaucoup de liberté, elle parle couramment l'anglais et prend  goût aux activités sportives et culturelles. A la mort de son père, en 1922, elle revient en France étudier au couvent des Oiseaux,  dans un cadre conservateur et catholique, et fait de brillantes études musicales de  piano à l'école normale de musique de Paris.

Elle se marie jeune,  avant sa majorité - qui à l'époque était à 21 ans -  à un bel officier du renseignement, Edouard Méric, de huit ans son aîné,  et le suit  au Maroc, passionnée par l'aventure outre-mer. Deux enfants naissent de cette union, un fils né en 1929, et une fille née en 1932, les époux  mènent une vie mondaine agréable. Toutefois, Marie Madeleine qui apprécie la vie mondaine, manque de liberté, de  plus, elle découvre un mari jaloux et emporté. En 1931, ils reviennent en France mais  ne s’entendent plus : ils  se séparent  lors du départ de son mari vers Rabat. Elle conserve le nom de "Méric"  et se consacre à ses deux enfants tout en découvrant  l’indépendance et la responsabilité. 
(Elle prendra le nom de Fourcade en 1947 après son remariage. Aussi est-elle appelée MM Méric dans ce site, nom qui était le sien pendant la guerre)


-L'indépendance

Marie-Madeleine prend part à des compétitions automobiles, meetings aériens et profite de son autonomie pour se  déplacer avec sa voiture pour fréquenter le milieu de l'état major et des journalistes. Bientôt, elle travaille comme journaliste et publicitaire pour Radio-Cité, première radio avec un ton moderne et  commerciale avec l'apparition de la "publicité". Elle anime une émission radio nommée "Une demi-heure pour les femmes"  avec Colette et   des chroniques de mode.  Désormais, indépendante, elle mène un train de vie luxueux.
En 1936, elle rencontre deux camarades de son beau-frère Georges Georges-Picot, officier supérieur,  Charles de Gaulle et Georges Loustaunau-Lacau et assiste à leur discussion critique de l'armée souvent polémique : Loustaunau-Lacau pense que l'emploi de blindés préconisés par De Gaulle est actuellement irréalisable et qu'il vaut mieux réformer en profondeur l'armée). Impressionnée par Loustanau-Lacau, le lendemain, elle accepte une proposition de travail du second, devenant secrétaire générale de son petit groupe de presse nationaliste, anti-communiste et anti-allemand qui veut mener "une croisade de vérité". En effet Laustaunau -Lacau  a créé  les réseaux Corvignolles (surnommé la "cagoule militaire "et, non pas, la "cagoule" d"E Deloncle) véritable service de renseignement (SR) clandestin dans l'armée française qui  débusque les cellules communistes de l'armée et  publie des informations militaires sur le danger allemand et de  l'Union soviétique. C'est MM Méric qui l'organise et  recrute des informateurs partout en France et en Europe 
Le putsch raté de 1937 de la "Cagoule" fait démanteler l'organisation de Deloncle et, Loustaunau-Lacau en profite pour récupérer des fonds et créer une nouvelle revue qui devient en 1938 "L'ordre national". Naturellement, c'est MM Méric qui  devient responsable administrative de la revue, sans faire de publications.  Elle doit s'affirmer et s'indigner face à des articles antisémites ou antiféministes de certains rédacteurs avec lesquels elle se brouille, au final Loustaunau-Lacau la soutient, et elle  prend la direction  effective de la revue, d'autant que   Loustaunau-Lacau  ("Navarre") a fondé l'Union Militaire Française (UMF ou Spirale) plus ou moins clandestine qui fait de la propagande patriotique autour de l'Ordre, l'équité et le progrès.

-La  guerre perdue : que faire ?
En 1939, Loustaunau-Lacau est emprisonné, suspecté de trahison en raison de son activisme clandestin, laissant Marie-Madeleine seule à la tête de son groupe de presse. Suite à un "non-lieu", il est libéré de la forteresse de Mutzig le 10 mai 1940, au  moment même ou la revue "L'ordre national" doit se saborder.
Loustaunau -Lacau prend alors part à la bataille de France dans le secteur de Verdun, grièvement blessé il est fait prisonnier mais parvient à se faire libérer en août 1940. MM Méric fuit Paris et se dirige vers Oloron Sainte Marie. Elle n'accepte pas l'armistice qui "repose sur le déshonneur" et considère Pétain comme un "lâche qui profite du désastre" et n'hésite pas à le critiquer ouvertement  pour sa capitulation, ce qui parfois choque son entourage.
Loustaunau-Lacau revient, blessé,   le 21 août 1940  et n'accepte pas la défaite. Il refuse de s'exiler en Angleterre car il ne prend pas au sérieux De Gaulle et son  petit groupe. Il convainc MM Méric d'aller  à Vichy d'où il espère reprendre le combat, sous une forme  à déterminer. Par ses relations à  Vichy, il devient "Délégué Général" de la "Légion Française des combattants", en fait il cherche à  obtenir un instrument de résistance : ce poste lui permet de circuler librement, d'obtenir  des moyens financiers, d'avoir des renseignements et d'être en contact avec les anciens combattants qu'il doit aider. MM Méric hésite puis finalement accepte de s'occuper "en façade" de l'intendance au centre d'accueil pour s'occuper des  anciens combattants et, à l'étage, dès l'automne 1940, discrètement, elle recrute surtout des officiers pour obtenir  des informations.

-La création d'un réseau de résistance 
Fin 1940  le régime de Vichy révèle sa vraie nature en pratiquant la collaboration. Loustaunau-Lacau échoue à étendre sa légion à la France occupée, de plus, son comportement et activisme intriguent et le 13 décembre 1940  il est évincé de son poste ce qui l' amène à une rupture inévitable avec Pétain.
Dés lors, avec MM Fourcade, il s'oriente vers une organisation secrète de résistance contre les allemands avec des "patrouilles" chargées du renseignement.  C'est le début de la création d'un réseau  de renseignements.
Le réseau  recrute d'abord au sein de la droite nationaliste et de militaires qui n’ont pas abandonné l’idée de reprendre la lutte contre l’Allemagne comme Coustenoble, un pilote. Marie-Madeleine Méric,  commence  à organiser  le réseau pour acheminer le courrier,  préparer des filières de passage de la ligne de démarcation et d'évasion vers l'Espagne, et surtout recrute un peu partout en zone libre : Dijon, Lyon, et surtout, dans le milieu de la marine, à Marseille  avec J Boutron et H Schaerrer qui passent outre les idées politiques de Loustanau :  "Je veux combattre avec ceux qui combattent". Fin 1940, l'organisation compte plus de 50 membres et passe dans la clandestinité.


Loustaunau-Lacau envoie à Londres, via le Maroc, comme ambassadeur personnel Jacques Bridou, le frère de Marie-Madeleine, bilingue et récemment marié à une Anglaise. Il doir contacter De Gaulle et le M16.  Il  assure De Gaulle de sa coopération pour continuer le combat mais celui-ci, glacial, veut le monopole des informations et qu'on lui fasse allégeance "Qui n'est pas avec moi est contre moi", ce qui est inacceptable car leur combat est différent : il se déroule là où est l'ennemi, sur le territoire français. L'accueil des anglais est très différent, ils sont très intéressés par le renseignement venant directement de France. Les allemands  coulent de nombreux navires dans l'Atlantique  (500 en  6 mois dans l'Atlantique en 1940) avec leurs sous marins installés dans les ports français : les anglais ont un besoin urgent d'informations que seuls les français peuvent apporter.

Le recrutement continue à Périgueux, Paris et Vichy. Le commandant Faye en janvier 1941 rentre en contact avec Loustaunau-Lacau : ils rêvent de soulever l'armée d'Afrique et mettre l'Algérie en dissidence ce que MM Méric considère comme du...délire et l'inquiète.  Faye retourne en Algérie en mars 1941 pour établir des contacts.

-Un réseau allié aux anglais

Darlan devient en février 1941, chef du gouvernement vichyste où il s'investit dans la politique de collaboration du maréchal Pétain. La situation à Vichy  devient donc problématique, le centre d'accueil ferme et la sécurité n'est plus garantie, ce qui incite Méric à partir sur Pau  le 1° avril 1941 rejoindre Georges Loustaunau-Lacau.  Méric a organisé son état-major : son adjoint est désormais le sous-officier Maurice Coustenoble, de l'armée de l'Air ; Henri Schaerrer prend la tête de la zone occupée.

Le réseau se développe : création de filières entre zone libre et occupée, mais aussi vers l'Espagne. Le seul obstacle demeure  le manque de financement. Après le retour en France de J Bridou en mars 1941, Loustaunau-Lacau rencontre les anglais de l'Intelligence Service (Kenneth Cohen)  le 14 avril 1941  à Lisbonne (MI6) qui aideront financièrement le réseau (5 millions de francs et un poste émetteur pour démarrer) et qui seront les premiers informés, avant de Gaulle. Les anglais demandent un gros effort de renseignements maritimes, en priorité, une infiltration des bases navales et sous marines de l'Atlantique, les mouvements de navires et U-Boot  ; de plus, le renseignement militaire classique :  mouvements de troupes, emplacement des aérodromes, des usines de guerre, des défenses antiaériennes et autres, le déplacement des trains de ravitaillement... Egalement, un codage des noms des membres doit être utilisé basé sur 3 lettres et 2  chiffres : Navarre devient N1, MM Fourcade  devient POZ 55, Coustenoble COU 25...

Désormais, il va falloir  organiser un réseau sur la Bretagne pour renseigner les anglais sur les activités maritimes allemandes. MM Méric doit donc séjourner à Paris en avril-mai 1941 pour implanter ce réseau breton, elle obtient  de nombreux contacts souvent déjà implantés dans un chantier naval à Lorient, Saint Nazaire, Brest, Rennes.  Mais elle doit rapidement rentrer  à Marseille car Loustaunau-Lacau part en Algérie pour ses activités "politiques" ce qui contrarie MM Fourcade qui refuse de mélanger  politique et renseignements


-1941: MM Méric à la tête du réseau qui connait déjà ses premières arrestations

MM Méric prend la direction du réseau
Loustaunau-Lacau et Faye embarquent pour Alger, le 22 mai afin de déclencher la dissidence de l'armée d'Afrique, de fait c'est un putsch qui est envisagé,   mais c'est un échec lié  à une trahison, tous les comploteurs sont arrêtés. En effet de nombreux militaires sont restés "pro Vichy" et  antibritanniques  suite à Mers el Kerbir ( Attaque de la Royal Navy du 3 au  6juillet 1940  contre les navires français de Mers el-Kerbir, avec 1300 tués). Si  Faye est emprisonné, Loustaunau-Lacau s'évade, rejoint la France, rencontre rapidement MM Fourcade et  va se cacher  à Pau. Vichy avec son nouveau chef du gouvernement François Darlan procède à des arrestations et  recherche activement Loustaunau-Lacau qui sera  arrêté le 18 juillet 1941  à la cathédrale de Pau, alors qu'il voulait dire au revoir sa famille avant de fuir. Il est emprisonné à Clermont Ferrand comme Faye.

MM  Méric  ("Poz 45") s'interroge sur son devenir, toutefois elle reçoit immédiatement le soutien des (jeunes) membres du réseau, aussi  annonce-t-elle sa décision  de prendre seule la tête du réseau par un simple télégramme radio à l'Intelligence Service, rédigeant tout au masculin... 
Elle prend un chef d'état-major, "Gavarni" pour s'occuper de la centaine d'agents  du réseau et Bernis retourne  à Monaco diriger le secteur méditerranéen,. La présence d'une femme - jeune mais expérimentée - à la tête du réseau plait aux jeunes, seuls quelques officiers demeurent, au début,  sceptiques. Le PC du réseau est maintenu à Pau mais change de localisation par sécurité, il quitte la pension "Welcome" pour la villa " Etchebaster" plus isolée.
Le réseau fonctionne bien avec une centaine d'agents et ses 6 émetteurs (Pau, Marseille, Paris, Nice, Lyon, Normandie) qui transmettent en particulier  des renseignements  sur les sous marins de St Nazaire. Les renseignements se multiplient, avec, en particulier, à la fin de l'été 1941,  une carte en tissu de toutes les installations maritimes de St Nazaire, carte qui va épater les anglais ! Désormais la liaison avec l'Espagne est facilité par la nomination de Jean Boutron comme attaché naval à Madrid, il profite de sa "valise diplomatique" pour transporter documents et émetteurs radio.

 Le 15 octobre 1941, le jugement est rendu : Loustaunau-Lacau est condamné à 2 ans de prison puis transféré en hôtel prison. Il s'échappe en 1942 mais se rend pour éviter des ennuis à sa famille, Vichy le livre à la Gestapo en mars 1943, torturé interrogé 54 fois en n’ayant jamais livré la moindre information, il est déporté en 1943 à Mauthausen. Faye est condamné à 5 mois de prison.

Les premières arrestations

 Les membres du réseau savent que désormais Pétain joue à fond la collaboration. Avec Darlan,  les forces de sécurité allemande ( SD, Gestapo..) peuvent circuler dans la zone sud ; désormais  le contre espionnage français qui arrête parfois des agents nazis doit cesser au profit de la traque des réseaux de résistants. Schaerrer, porteur de documents, est arrêté à la base de Bassens, le 11 juillet 1941. Condamné à mort, il sera fusillé le 13 novembre 1941 au mont Valérien. C'est le premier membre important arrêté et exécuté.
A l'automne 1941, MM Méric assiste au parachutage en Dordogne de postes émetteurs et de 3 millions de francs (auxquels s'ajoutent 3 millions via Madrid et 4 millions en réserve à Barcelone)
Au même moment,  l'état-major de Méric au grand complet à Pau  est  appréhendé (Coustenoble, Gavarni...). Prévenue, MM Méric  part se cacher à Tarbes, Boutron la rencontre et la décide  à séjourner à Madrid.

Séjour  à Madrid

Elle rejoint l'Espagne dans des conditions difficiles, cachée dans un petit sac de courrier de la "valise diplomatique"  de Boutron déposé  dans une voiture qui sera chargée sur un train pour traverser la frontière. En principe,  elle doit rester cachée 2 heures mais suite à un problème de train, elle devra rester 9 heures recroquevillée dans le froid et aura beaucoup de mal a s'en remettre. Elle rencontre  à Madrid le représentant du MI6, et tout se passe bien malgré  l'étonnement de son identité  "Vous nous avez bien eus ! " mais les services britannique lui accordent toute leur confiance ; le secteur de Marseille étant toujours actif assure l'intérim. Elle apprend  de nouvelles arrestations   dont celle de Gavarni, son chef de cabinet,  qui aurait fait un accord avec Vichy en leur indiquant que le réseau est détruit, et qu'il leur remet 2 millions de francs en échange de libération de membres d'Alliance arrêtés. Elle réglera cela à son retour fin décembre et demeure persuadée qu'un mouton est introduit dans le réseau par les allemands :  elle songe  à l'agent britannique "Bla" qui a un comportement étrange depuis son arrivée, effet, il est très curieux, pose beaucoup de questions tout en se rendant souvent à Paris... toutefois les anglais la rassure sur Bla... 


Méric avec Faye, chef militaire du réseau
Dans les premiers jours de janvier  1942, Méric rentrée à Marseille convoque  Gavarni  qui reconnait son  accord avec Vichy  pour libérer des prisonniers et qui insiste pour qu'elle accepte  sa proposition de  travailler pour les vichystes et  en profiter pour s'enrichir:  elle éclate de rire et le renvoie...
Une semaine après Faye réapparait à Marseille, un an après son départ vers l'Afrique, en effet il a été libéré. MM Méric   remplace Gavarni   par Faye qui devient son chef d’état major  et de fait, il codirige le réseau, désormais l'entente sera totale entre les deux. Faye recrute beaucoup  parmi ses contacts notamment en début 1942, le colonel Edouard Kauffmann ( Toulouse), Coustenoble  à Pau


-Début 1942:Vichy tente de récupérer le réseau Alliance
Vichy sait, par Gavarni, l'existence d'organisations secrètes de renseignement. Le responsable du contre espionnage de Vichy, Rollin, a réussi à   récupérer des archives  à Tarbes appartenant à MM Méric qui n'avaient pu être récupérées, aussi veut-il l'interroger en espérant la convaincre de  pratiquer une résistance modérée (contre les communistes) au profit de Vichy. 
En mars 1942, Vichy envoie  son beau-frère Georges-Picot (pétainiste) rencontrer  MM Méric qui est suspectée de mener des activités secrètes. Elle  est donc sommée de se livrer à la police, elle hésite, réfléchit  et finalement accepte après avoir  annoncé  à ses proches sa situation. En fait  Rollin mène un double jeu ambigu, en effet, autrefois il a travaillé pour le MI6 mais demeure fidèle à Darlan et Pétain, il pourchasse durement les réseaux  communistes et essaie de faire coopérer les autres groupes de renseignements avec Vichy ; il voudrait que les renseignements soient donnés  à Vichy d'abord et , ensuite, après un tri,  donner une sélection au MI6.  Ce qui explique l'attitude de Gavarni.
MM Méric comprend vite  à qui elle a à faire puisque Rollin qui se dit "patriote, contre les allemands et contre les anglais" veut  que son réseau travaille dans l'intérêt du pays et qu'il la protégera.  La  confrontation avec les autorités de Vichy  va tourner en sa faveur car elle ruse, ment en disant que le réseau s'est effondré et qu''elle n' a plus de contact avec les anglais, feint d'accepter de renoncer  à "ses activités politiques" ce qui permet  la libération des prisonniers d'Alliance.  Elle prévient Marseille d'un contrôle de police le lendemain à l'épicerie qui a donc le temps de  tout évacuer et nettoyer, la police de Vichy ne trouvera rien à redire.  Elle apprend que  Gavarni n' a donné que 800.000 francs  à Vichy et non les 2 M indiqués...
Elle est donc relâchée,  croise  à Vichy Gavarni et lui indique que désormais elle collabore  avec Vichy et qu'elle n'a plus besoin de lui et face à son étonnement,  n'oublie pas de  lui rappeler sa soudaine nouvelle fortune ! 
Elle retourne  sur la  Côte d'Azur, en famille à Mougins,  mais surveillée par la police, elle affiche une vie bien calme. En fait, via Coustenoble, elle réfléchit aux décisions à prendre  pour améliorer le réseau
MM Fourcade apprend que Boutron, grillé,  doit se présenter  à Vichy où il minore son rôle : il sera  rétrogradé et  interné dans les Alpes mais s'échappera  et rejoindra Londres en novembre  1942.
Le retour en avril de Pierre Laval à la tête du gouvernement les plongent à nouveau dans la clandestinité totale.

1942 :  L'apogée du réseau

L'apogée
Le réseau est installé à Marseille. Une réorganisation s'effectue : le réseau prenant de l'ampleur change l'identification de ses membres, en adoptant des totems animaliers  MM Méric prend le nom de code "Hérisson", Faye celui d’"Aigle". En 1942, Faye impose un découpage quasi militaire de la France, il la divise en grandes régions ou secteurs. Les villes et régions sont désignées sous des noms de codes, Marseille devient le centre névralgique du réseau (Nov 1941 à Nov 1942), les liaisons avec l'Espagne sont renforcées. 

MM Fourcade part vers Toulouse pour faire soigner sa fille de  9 ans  qui souffrant  de la hanche  doit se faire opérer à la clinique du Dr Charry qui la protège et lui permet de s'installer   dans la chambre de sa fille pour mener  à bien  toutes ses activités et, même, y recevoir ses agents!. Elle en profite pour réorganiser et étendre le réseau.  Il se développe dans le Sud Ouest  dans 7 départements autour de Toulouse, avec l'appui de policiers (le commissaire Jean Philippe), en effet le réseau Alliance compta 5% de policiers dans ses rangs. Elle établit un refuge isolé en Corrèze et en  profite pour créer un terrain d'atterrissage isolé  près d'Ussel. 
Jamais le réseau n'a connu une aussi vaste implantation : aux régions anciennes de  Marseille, Nice,  Lyon, Grenoble s'ajoutent  le midi toulousain, la Dordogne, la Corrèze, la Normandie avec Jean Sainteny,  le littoral atlantique avec  Bordeaux, La Rochelle et même le Nord (Pas de Calais, Lille, Boulogne).  
Après  2 mois  à Toulouse, sa fille part en convalescence dans les Pyrénées accompagnée de sa grand mère.  En juin 1942,  MM Fourcade rejoint Marseille où Faye a lui aussi beaucoup recruté  de jeunes, développé  la transmission du courrier. Un recrutement très efficace se confirme dans les ports bretons avec des repérages de sous marins,  dépôt  de munitions. Le réseau est désormais partout implanté avec des secteurs productifs : Normandie, Bretagne, Vichy, Dordogne, Lyon, Grenoble, vallée du Rhône,  Marseille, Nice. En vue de la future invasion des alliés en Afrique du Nord, la demande de renseignement se multiplie surtout  sur les activités maritimes en Méditerranée. C'est l'apogée,  Alliance croule sous les renseignements 

A Marseille, il faut déménager le PC à la Villa de la Pinède beaucoup plus grande et discrète : on y fait tout, radio, faux papiers,  réception, tri, décodage des messages. MM Fourcade s'entoure de nombreuses femmes pour travailler, telle sa fidèle secrétaire Hermine. Le réseau Alliance est le réseau qui eut dans ses rangs le plus grand nombre de femmes (20%).
Toutes les transmissions et  liaisons se perfectionnent, le réseau utilise désormais régulièrement  les liaisons aériennes  avec le Lysander pour des parachutages et  le transport de passagers dans les deux sens. De même les liaisons radio sont améliorées, parfaitement mises au point avec de nombreux émetteurs clandestins, les nouveaux postes (MKII) se miniaturisent et facilitent les déplacements nécessaires pour émettre en tranquillité, toutefois la goniométrie allemande, elle aussi s'améliore, aussi une prudence extrême est nécessaire.

En octobre  1942, l'agent double Bla est arrêté par Alliance qui l'exécute  (voir le dossier)

Arrestations en cascade
Sur demande du MI6, Méric  doit prendre contact avec le général Henri Giraud évadé le 17 avril 1942. Elle doit organiser son départ en sous-marin depuis la plage du Lavandou pour Gibraltar dans la nuit du 5 au 6 novembre 1942.

Le lendemain, le PC de Marseille est investi : Méric, Faye, et autres membres sont arrêtés par la police française, suite aux écoutes de la radiogoniométrie allemande. Heureusement, certains policiers membres du réseau Ajax les aident à cacher et détruire les documents. Faye est convoqué à Vichy.
 Suite au  débarquement en Afrique du Nord  (opération Torch)  le 8 novembre 1942, l'armée allemande envahit le 11 novembre la zone libre, aussi la situation devient-elle complexe pour tout le monde.... Faye est interné, mais Méric et ses camarades  reçoivent l'aide  des policiers qui les convoient vers la  prison de Castres, ils leur permettent de s'évader près d'Arles puis de se cacher d'abord à Chateaurenard puis à Toulouse.  Là, elle rencontre pour la première fois le radio Pie et  aura une rencontre avec Loustanau-Lacau qui s'est échappé, il lui confie officiellement le commandement de son réseau (il sera à nouveau arrêté peu après).  Le 23 novembre 1942, Faye s'évade à son tour.


 Un PC mobile pendant l'hiver 1942/1943
Désormais, la  zone sud est occupée par les allemands, trouver des protections et des caches devient problématique, l'ennemi est omni présent. Le PC du réseau menacé est contraint pendant l'hiver 42/43 de se déplacer  souvent dans de petites villes, villages isolés de Corrèze (Ussel), Terrasson où elle revoit Faye le 17 décembre 1942,  Dordogne, (La Roque Gageac) Lot (Cahors)  et enfin Tulle en  Corrèze. (Voir cartes et détails).  Elle échappe souvent de justesse aux allemands qui la traquent. MM Méric, qui change sans cesse d'identité,  estime que la mobilité garantit la survie, et qu'il est nécessaire à la fois de savoir donner sa confiance et se défier sans cesse.

Si les activités  sur le littoral atlantique  sont très efficaces, le Nord et Paris sont touchés par des arrestations, les agents sont fusillés à Fresnes.


1943 : Le réseau devenu "Alliance" toujours très durement frappé, se réorganise
Fin janvier 1943, Méric,  avec Bontick et Rodriguez s'installent à Lyon pour se mettre  à l'abri, ils retrouvent  Faye  et Kauffmann  mais choisissent des hébergements différents par sécurité ce qui s'avéra efficace.


Faye arrive à Londres en Lysander en janvier 1943, et rencontre De Gaulle qui le reçoit très mal, reprochant au réseau l'absence de renseignements sur Giraud mais les tensions s'apaisent vite, le réseau lui transmettra désormais ses informations. Faye part ensuite pour Alger, où il va obtenir de Giraud, devenu commandant en chef des forces civiles et militaires, que le réseau soit bientôt militarisé. Faye à son retour en mars 1943  (après 3 tentatives d'atterrissage  car le terrain d'Ussel est cerné par les allemands, il atterrit finalement  près de la Saône) annonce l'officialisation du nom "Alliance" pour le réseau.
Fausse carte d'identité



Méric, amaigrie mais  enceinte, très fatiguée doit faire face à une série d'arrestations (Paris et Vichy) qui sont, selon elle, dues en grande partie au retournement probable du commandant Alamichel, devenu agent double  (toutefois, non lieu en 1947).  

Ils décident de cloisonner davantage le réseau en raison de nombreuses infiltrations et de nombreuses arrestations à Marseille, Nice...tout le midi tombe ! cela s'explique à la fois par des trahisons, présence d'agents doubles mais surtout par les progrès de la radiogoniométrie allemande d'autant que Laval en juillet 1942 autorise les allemands  à installer leurs bases mobiles en zone sud.
 Les interrogatoires montreront que les Allemands ont en main la structure du réseau d'avant novembre 1942. Le PC doit être coupé en deux, en séparant les activités de Faye de celles de Méric, mais aussi leur lieu de résidence. La sécurité à Lyon devient problématique, aussi faut-il envisager  de partir vers Paris.
MM Méric apprend que ses enfants sont menacés d'arrestation (son fils  de 12 ans Christian est interne à Toulouse et sa fille de 10 ans  est sur la Côte d'azur) aussi doit-elle se résoudre  à les faire venir  à Lyon, mais ne les verra pas par sécurité, pour les envoyer  en Suisse, afin de les mettre définitivement à l'abri des menées allemandes contre sa famille.
Rodriguez, le radio et Bontik échappe de justesse à une arrestation à Lyon le 16 mai 1943. MM Méric déménage et accouche d'un garçon en juin1943 qui sera caché dans le Sud. Ensuite, elle quitte Lyon dans  en train de nuit en simulant une maladie pour éviter les contrôles et arrive  à Paris, accueillie par Rodriguez, "Pie".

C'est pendant l'été 1943 que le réseau Alliance recueille des informations d'une grande importance : mouvements de troupes  allemandes en Europe et surtout l'existence d'armes secrètes (V1et V2) avec la découverte du laboratoire en Allemagne et  la construction de plateformes de lancement en France. Des raids aériens britanniques détruiront un tiers des  installations secrètes allemandes.
Le PC  du réseau est installé dans le XVI°, rue Raynouard. Un nouveau terrain d'atterrissage est trouvé  à Bouillancy, près de Nanteuil-le-Haudouin, dans l'Oise.

Faye décide de cloisonner l'ensemble du réseau, jugé désormais par Méric trop vaste pour rester en l'état (voir le dossier "Organisation du réseau" sur la décentralisation mise en place). Avant le départ de  MM Méric, trop exposée,  pour Londres une réunion et préparée.

  Le 16 juillet 1943,  lors de cette grande réunion à Paris, le plan  de réorganisation est présenté aux chefs de secteur : l'approche descendante entre le PC et les secteurs, et la transmission directe des secteurs à Londres sont validées. La résistance en France qui  vient de se structurer avec le CNR (27 mai 43) qui regroupe les principaux mouvements  et non pas les réseaux  inquiète  les responsables d'Alliance  qui ne veulent  rallier  ni  De Gaulle, ni Giraud ;  lors de cette réunion MM Méric  ne veut pas  politiser le réseau et prône d'une part l'attente et, d 'autre part,  l'union des membres. MM Méric,  partant à Londres, Faye prend le commandement, le renseignement étant confié à Paul Bernard, que Méric a choisi comme successeur, ce que n'apprécie pas Kauffmann.

Séjour  à Londres

MM Méric, part à Londres le 18 juillet 1943 après 32 mois de commandement, ce qui est exceptionnel. Le lysander décolle de Bouillancy.
En août, Faye rejoint Méric à Londres, les services britanniques leur recommandent de ne pas retourner en France.  Mais Faye, insiste, malheureusement  dès son retour, le 16 septembre 1943, il est capturé dans le train à Aulnay-sous-Bois par les services allemands qui l'emprisonne.  Cette arrestation est liée à la présence d'un agent double, JP Lien,  infiltré dans le groupe "Apache". Au même moment, Loustaunau-Lacau est déporté « nuit et brouillard ».
Paul Bernard ("Martinet") prend le relais pour remplacer Faye jusqu'à son arrestation le 17 mars 44. suivie de sa déportation " Nuit et brouillard" dont il reviendra vivant de Berlin en 1945.

De retour, elle reprend la tête d'Alliance et continue le renseignement dans l'Est de la France pour Patton
Les anglais interdisent à MM Méric de partir en raison des trahisons internes dans le réseau, elle devra patienter. D'ailleurs pendant l'automne les arrestations se multiplient à Marseille, Autun, en Bretagne (Sea Star), de fait, la communication par la radio ne fonctionne presque plus.
En hiver et au printemps 1944,   c'est l'hécatombe en Bretagne, Normandie, Bordeaux  : le réseau  est démantelé.  Suite à l'arrestation de  "Martinet" le17 mars 1944, la situation n' a jamais été aussi mauvaise pour Alliance.
A partir de février-mars 1944, Méric obtient la fusion entre l'Alliance et le BCRA tout en conservant un peu d'autonomie dans la prise de décisions.. En juin, peu après le débarquement de Normandie, Roger est capturé, et les Britanniques acceptent l'idée du retour de Méric en France. Elle doit rédiger, en avril, un télégramme qui sera envoyé le jour J aux postes d'Alliance.

Visage tuméfié suite à son évasion
Le débarquement réussi, elle peut partir mais il ne reste que  75 agents actifs...En juillet 1944, elle rejoint Aix-en-Provence, région où le réseau fonctionne bien grâce à Helen des  Isnards.  Sa maison est fouillée et elle est à nouveau capturée. Incarcérée à la caserne Miollis, elle réussit, à s'évader au travers des barreaux de sa cellule  et prévient les membres de son réseau de la souricière qui les attend. Elle prend le maquis puis part pour Paris.  
Elle souhaite continuer à servir les alliés jusqu"à la victoire finale et se désintéresse des aspects politiques mais elle doit s'affirmer à Paris pour  réorganiser le renseignement direct avec les troupes alliées, notamment avec Roger, fraîchement évadé. Ils établissent le PC dans l'Est Ils suivent peu à peu l'avance des troupes de libération en les précédant sur le chemin de l'Est (Nancy, Verdun). Ainsi Méric et ses troupes continuent de collecter les informations pour faciliter la progression des Alliés. A Noël 44, elle retrouve enfin ses enfants et sa mère. Si la guerre est terminée, il faut retrouver tous les absents..




Après guerre, elle se consacre au  travail de mémoire de la résistance.

Après la victoire elle s'investira dans le travail de mémoire de la Résistance et en particulier dans celui des membres de son réseau « Je voudrais qu'on ne les oubliât pas et qu'on comprît surtout quelle était la divine flamme qui les animait ».
Elle parcourt avec Rodriguez (Pie) les différentes prisons et camps où les prisonniers d'Alliance ont été déportés, elle en retrouve la trace mais pas forcément les corps .
Elle préside en 1945, l'Association Amicale Alliance et devient "Officier liquidateur" du résea ; elle fait établir la liste de l'entièreté des 432 morts et disparus, qu'elle publie dans le « Mémorial de l'Alliance » en 1947. Elle s'occupe également de faire homologuer chaque membre, ce qui permet d'assurer la survie des familles restantes, en leur permettant des droits à pension ou l'accès à des œuvres sociales. Elle authentifie les actions, et de leur attribuer des qualifications, comme P2, P1 ou O, de demander des pensions, des décorations, d'enquêter, de collecter des archives, des témoignages pour le « Mémorial de l'Alliance »
 En 1947, elle prend fait et cause pour le Général de Gaulle et sera désormais gaulliste. De décembre 1962 à juillet 1989, elle préside le Comité d'Action de la Résistance (CAR). 
Dans son bureau en 1958

Elle publie en 1968, sous le titre « L'Arche de Noé », ses souvenirs de résistance pendant la guerre.


Décédée en 1989, les honneurs militaires lui ont été rendus en la cathédrale Saint-Louis des Invalides.
Elle est la seule femme à avoir dirigé un grand réseau de résistance en France.


Sources et Compléments

Ouvrages fondamentaux
  • Michele Cointet : Marie Madeleine Fourcade, un chef de la Résistance Ed Perrin (Biographie)
  • Marie Madeleine Fourcade : L'Arche de Noé, Réseau Alliance 1940-145 Ed Plon  (Autobiographie)
  • Madame Fourcade's Secret War: de Lynne Olson 464 p en anglais

Web

Historique du réseau Alliance, secteur Ferme & Jardin

Il s'agit, ici, d'une  présentation  du Réseau Alliance, essentiellement au niveau local  "Secteur Ferme" (Calvados). Pour approfondir  au niveau national, consulter  notre histoire du réseau Alliance et le dossier complet du fonctionnement du réseau Alliance . En effet l'histoire de ce vaste réseau est complexe, très tôt les allemands procèdent à des arrestations, aussi est-il  souvent réorganisé, trahi, reconstruit...

Le réseau "Alliance", réseau de renseignements français et filière d'évasion lié aux britanniques (MI 6), a été fondé en 1940 par Georges Loustaunau-Lacau dit "Navarre" ou "Coq", arrêté en 1941, puis repris par Marie Madeleine Méric (Fourcade) dit "Hérisson" (1941-1943, recherchée, elle part à Londres). Ensuite se succèdent Léon Faye dit "Aigle" puis Paul Bernard dit "Martinet" enfin Marie Madeleine Méric repend la tête du réseau jusqu' à la Libération.
Les services allemands appellent ce réseau "l'Arche de Noë " en raison des pseudonymes de ses agents avec un nom d'animal: Civette, Bison noir...

Le réseau "Alliance" est un réseau spécifique, orienté vers le renseignement, non armé, financé et équipé en matériel de radio par le MI6 (Intelligence Service) qui recevait directement les informations. Il a démarré en zone libre (sud-ouest de la France), puis son activité s'est rapidement étendue à l'ensemble de la France, et donc, dans le Calvados, en particulier dans l'Ouest, le "Bessin" avec le sous secteur Jardin

1 - LA CREATION
  • Jean Roger dit Sainteny, le Fondateur
 Jean Roger dit  "Sainteny" ou "Dragon" 
  est démobilisé alors qu'il travaillait dans les secteur bancaire. Il est contacté dès octobre 1940 par le commandant Georges Loustaunau-Lacau, qui est en train de monter un réseau de renseignement. Jean Roger possède une résidence secondaire à Aignerville, dans le Bessin où il a des   contacts avec les locaux, ainsi il crée rapidement une petite base de résistants au cœur de la Normandie, dans le Bessin et le Cotentin.
 Le 1° septembre 1941 Jean Roger est arrêté par la GFP (Geheime Feld Polizei) à Colleville sur mer alors qu'il fait des relevés sur les dispositifs allemands. Incarcéré 12 ours à la prison de Caen, traduit devant la cour martiale, il est relâché faute de preuves un mois plus tard.
Il continue son action et franchira  13 fois la ligne de démarcation. Les anglais  s'inquiétant  de l'activité militaire allemande sur les côtes (stations radars, rampes de lancement de fusées, batteries...)  alertent Marie Madeleine Méric qui demande à Sainteny de structurer localement  une  équipe Alliance.

En décembre 1940, il adopte le nom clandestin de Sainteny et met son organisation au service de MM Méric  pour créer le vaste secteur "Ferme",  qu'il dirige depuis Aignerville.  Sainteny va fédérer son équipe avec d'autres résistants du Bessin. Dés 1941, le secteur Ferme sera divisé en  plusieurs  autres sous secteurs dont le "Calvados ou Jardin".  Jean Roger va multiplier les contacts pour développer le réseau en Normandie (Roger Tillois artisan menuiser à Cherbourg et Antoine de Touchet, commandant d'aviation en retraite à Baron sur Odon)
 En 1941, Léon Faye met en place de vastes secteurs sur l'ensemble du territoire, aussi charge-t-il Sainteny de s'occuper de la région Normandie.

  • Création du secteur Ferme
     En 1941,  Jean Roger dit  "Sainteny" ou "Dragon"  crée le  secteur Normandie. Ce vaste secteur est lui même divisé en sous secteurs qui s'agrandiront et  évolueront  dans le temps:
    • "Ferme" qui correspond  à la Manche, Calvados et Seine inférieure
    • "Verger", qui correspond  à l'Eure, Orne et  Oise sud
    • "Thésée" qui correspond à la Seine Inférieure et Oise
    • "Fleuri" en 1943  qui correspond à l'Orne et au nord Sarthe

eux-mêmes divisés en sous secteurs locaux comme "Jardin" pour le Calvados


  • Organisation du Secteur "Ferme" 








2 - HISTORIQUE DU SOUS SECTEUR FERME : "JARDIN" 

Le  sous  secteur Ferme : "Jardin"  est localisé dans l'ouest du Calvados, essentiellement  dans le  Bessin.

  • Marcel Couliboeuf, le premier responsable
Jean Roger se met d'abord en contact avec l'instituteur de Formigny, Marcel Couliboeuf  dit "Bison noir" ( fausse identité  "Maurice Colas") qui, dés le début de  1941, a créé un réseau dans le Bessin sur un secteur allant de Grandcamp à Arromanches, donc dans la zone interdite où les allemands sont très actifs sur le littoral.
Après plusieurs rencontres, car Couliboeuf se révélant très prudent,  ils décident de travailler ensemble pour faire du renseignement  militaire sur les fortifications allemandes, champs de mines, construction du mur de l'Atlantique...
Couliboeuf obtient des moyens pour la réalisation des objectifs présentés par Sainteny. Couliboeuf   est en contact avec d'autres secteurs de la Manche, en particulier avec Raymond Haugmard "Babouin" de Carentan  et recrute autour de lui :
-André Lesomptier de Trévières prisonnier de guerre rapatrié le 27 mars 1941. Il est chargé de trouver des zones de parachutage.
-Georges Thomines ("Cachalot") pêcheur avec son frère Auguste sur le bateau "La belle effeuillée" qui, à son tour, recrute, un autre pêcheur  Paul Bernier ("Petit Gris") et son père Arsène ("Corydon").

  • Robert Douin, l'artiste dessinateur de cartes
De son côté Robert Douin, artiste peintre et directeur des Beaux Arts à Caen, est résistant dès 1940 dans l’organisation "l’Armée des Volontaires", il  collecte des renseignements sur l’armée allemande et les usines travaillant pour le Reich. En désaccord politique, il vient de quitter ce groupe. A la recherche d'un autre réseau, par l'intermédiaire  du restaurateur Jeanneaux de Bayeux,  il obtient un rendez-vous avec Couliboeuf  qui le met  en contact avec Jean Sainteny. Il reçoit une lettre de Sainteny qui lui donne rendez-vous à la gare de Caen  et lui explique son réseau en relation directe avec les britanniques..  Après réflexion et  plusieurs échanges avec Sainteny, il se décide  à rejoindre Alliance dont il sera désormais le responsable,  du secteur de Caen, en parallèle avec Couliboeuf,   responsable du secteur Grancamp-Port.
Ce vaste sous secteur  s'étendant de Ouistreham à Grandcamp,  est nommé  "Jardin". Robert Douin dit "Civette, centralise tous les renseignements.  A partir de 1943, le choix des côtes normandes étant réalisé pour le débarquement,  l'Intelligence service demande au réseau Alliance, secteur Ferme,  de recueillir le maximum d'informations sur le  littoral. 
Robert Douin utilise son métier et sa passion, la peinture pour se déplacer avec son chevalet et sa toile pour se promener sur la côte, se faisant souvent accompagné de son fils Rémy. Bien entendu, toutes les constructions ennemies et chaque détail, sont précieusement notés.  Douin sollicite activement  les agents du sous secteur "Jardin"  pour compléter ses renseignements afin de dresser des cartes  très précises localisant toutes les activités et constructions allemandes de la région, d'autant plus difficile  à réaliser que le littoral est une "zone interdite".  Il réussira a créer une carte de 17 m de long au 1/10.000 qui parviendra en Angleterre.

  • Secteur Jardin : Un réseau  qui tisse sa toile
 Le réseau Alliance, secteur Jardin, en 1943 est parfaitement organisé localement, bien réparti pour observer l'ensemble des défenses allemandes avec plus d'une quarantaine de membres actifs répartis en sous secteurs, et, avec  un  jeune agent de liaison entre  Paris et le Calvados,  Jean Truffaut alias.  "Tadorne". Tous les membres ont un rôle précis en charge de renseignement  sur les endroits stratégiques  pour les alliés, ils forment une vaste  toile d'araignée dans le Bessin avec des  "Groupes opérationnels" sur le terrain et et en complément, les villes (Bayeux et Caen) servent souvent  de lieu  de regroupement d'informations.

Les principaux : 
    • Caen avec Robert Douin, suppléé par Antoine de Touchet, commandant d'aviation en retraite, qui vit dans son château à Baron/Odon et qui est propriétaire d'une maison près de la gare de Caen et déjà  membre de l'ORA (Organisation de Résistance de l’armée), cet  ancien officier, spécialiste du renseignement, regroupe les informations.

    • Bayeux, centre stratégique du groupe, sorte de quartier général, qui regroupe les informations, sous la responsabilité de  Couliboeuf (jusqu'à l'automne 1943) . La Maison des gouverneurs à Bayeux, où vivent les deux "colombes de la tour", Germaine Limeul (32 ans en 1940) et Julia Picot (38 ans en 1940) institutrices à Bayeux sert à la fois de boîte aux lettres et de centre d'émission radio  qui a été organisé par Fernand Rodriguez,  (25 ans en 1940) dit "Pie", agent britannique, responsable en France de l'implantation de radios pour émettre vers Londres.



      Émetteur MKII  installé et utilisé par Rodriguez "Pie"
      lire le dossier Rodriguez Pie pour mieux connaitre  les transmissions radio

    • Port en Besssin  avec  Georges Thomine dit "Cachalot" qui dirige un groupe de pêcheurs  :   Paul Bernier ("Petit Gris") agent de liaison, Léon  Payen,  André Tabouret, Auguste Thomine, les trois frères Pierre, Léon et Edouard Cardron.  Par leur métier, des renseignements fondamentaux sur les défenses allemandes observées de la mer seront transmis.
      Thomine sera également contacté par Joël Lemoigne en juillet1943  dans le cadre du sous réseau  "Sea Star" spécialisé dans la collecter de renseignements militaires maritimes. De plus Thomine retrouve son cousin René Leseigneur de la Glacerie (Cherbourg)  employé à l'arsenal  qui est devenu agent de renseignement et dont le domicile sert de point de radio.

    •  Villers Bocage dirigé par Jean Caby dit "Emouchet" (29 ans en 1940), artisan radio est également fort actif. Bien qu'il passe pour être proche des allemands (ou qu'il l'aurait été autrefois), ce qui lui sert de couverture, il a recruté divers amis pour constituer une équipe complète qui effectue surtout du renseignement et parfois du sabotage. Le recrutement, est actif notamment chez les quelques rescapés du réseau Hector, démantelé fin 1941. Le réseau comprend Jean Lebaron, René Loslier, Margerie ErnestMarcel MariéJoseph Langeard . Caby est le "pianiste" du groupe car il envoie par radio, de divers endroits où se situent ses agents, des renseignements.
      Il peut compter aussi sur l'appui de Guy de Saint Pol , exploitant agricole à Amaye sur Seulles, très actif également, qui a recueilli et hébergé  des aviateurs américains qu'l a fait exfiltrer via l'Espagne et qui peut réaliser des liaisons radio de sa résidence d'Amaye.  De plus André Aubin du groupe OCR est en contact régulier avec Caby.
    • Ouistreham : Le boucher A Duval et le cantonnier C Buecchi observent l'embouchure du canal.

    • Saint Laurent-Trévières qui est représenté par des facteurs  qui peuvent facilement faire des relevés d'emplacement de matériel ou troupes. 
      • Robert Boulard est facteur à Trévières et habite Vierville, au hameau de Vacqueville. Recruté par Couliboeuf, il est agent de renseignement du "Groupe Alliance", et a aussi été arrêté le 5 mai 1944  (voir son interrogatoire) et fusillé le 6 juin 1944 à la Prison de Caen.
      • Désiré Lemière habite le hameau de Fosses Taillis à Saint-Laurent-sur-Mer. Agriculteur sans terres, puisque les les Allemands les avaient en partie réquisitionnées, il est devenu facteur à St-Laurent. Depuis janvier 1943, suite à sa proximité avec Robert Boulard,  il fait partie du "Groupe Alliance"  dont il est un membre actif. Il a été arrêté le 5 mai 1944 par la Gestapo (voir son interrogatoire), puis fusillé le 6 juin 1944 à la Prison de Caen.
      • Albert Anne forgeron à Asnières,  est recruté par Lemière comme  agent de renseignement du "Groupe Alliance", et a aussi été arrêté le 5 mai 1944 (oir son interrogatoire)et fusillé le 6 juin 1944 à la Prison de Caen.

      • Si parfois  le nom de Charles Olard,  receveur du bureau de poste de St Laurent, apparait, en fait, il n' a jamais appartenu au réseau Alliance comme résistant.  Il connait parfaitement les résistants locaux  qui sont  à la fois, Caby son beau frère à Villers Bocage,  ses voisins et collègues de travail de la poste (Lemière et Boulard)
         Il habite au hameau de Fosses-Taillis à Saint Laurent, comme Désiré Lemière. Il a été, comme les autres, arrêté le 5 mai 1944, mais a été rapidement  libéré sans interrogatoire car les allemands estimaient qu'il n'était pas membre du réseau. 


    • Secteur Jardin : Un réseau  organisé

      L'activité du réseau est essentiellement le renseignement ( localisation troupes, matériel et défenses allemandes). Ces informations  variées  sont  recueillies  pour être retransmises  par divers moyens: 

      • par radio de  Bayeux   ou de Caen par  Douin via un émetteur radio dans le clocher de l’église Saint-Nicolas ou, encore,  d'Amaye  par l'intermédiaire de  De Saint Pol.
        A noter que les transmissions radio sont facilitées par la présence d'un réparateur Jean Caby de  Villers Bocage  artisan radio-électricien et par la venue ponctuelle de Fernand Rodriguez  "Pie", agent britannique, responsable national  de l'implantation de radios pour émettre vers Londres qui circule partout en France.. D'autres postes de radio fonctionnent  à Cherbourg et Carentan.

      • par les "boîtes aux lettres
        • de Bayeux : Germaine Limeul  et Julia Picot institutrices logées à la maison des Gouverneurs, également lieu discret de rendez-vous.
        •  à Caen par l'intermédiaire de Maurice Primault employé chez Legallais Bouchard qui retransmet à Douin

      • par l'agent de liaison,  Jean Truffaut alias "Tadorne" entre  Paris et la Normandie. En effet il a la tache de s'occuper des liaisons entre  les différents secteurs normands (Ferme, Jardin, Thésée...). Jean Sainteny lui procure un logement discret au dessus du restaurant le Cap de Chien à Paris. Il circule sous le nom de  Jean Jacque Travers.

    Les cellules en Normandie : le littoral du Bessin est bien représenté

    • Secteur Jardin : Un réseau  menacé 

      • Au niveau national : une année 1943 terrible
        Le réseau Alliance  est constamment menacé.  En 1942 Hitler confie la conduite de la répression à la Sipo-SD. Les moyens mis en œuvre par l'occupant pour rechercher et démanteler les réseaux de résistants ont été considérables.
        Avec l'arrestation en novembre 1942 de Ferdinand Dellagnelo à Strasbourg, les services secrets allemands comprennent que le réseau Alliance est une organisation de renseignements au bénéfice de l'Angleterre. Pour se renseigner sur ce réseau et le démanteler, ils emploieront tous les moyens : infiltration par des espions qui se faisaient passer pour des résistants, retournements d'agents du réseau qui sont des traîtres, perquisitions chez des agents et arrestations avec interrogatoires parfois extrêmement violents.
        En  1943 de grandes rafles ralentissent les activités du réseau. Les déplacements de plusieurs chefs du réseau et de nombreux agents furent connus et ont entraîné notamment 
      • Au niveau local
        A l'automne 1943 suite aux nombreuses arrestations en Bretagne, et dans la région parisienne,  Jean Sainteny  donne des dispositions à prendre localement via Jean Truffaut qui alerte Couliboeuf et Jean  Caby de l'hécatombe. Des dispositions sont immédiatement prises: 
        • Couliboeuf, alias" Bison noir" doit prendre la clandestinité.  Il quitte brusquement son poste d'instituteur à Formigny. Il trouve refuge dans le Poitou et, par la suite, formera un petit groupe de résistants qui rejoindra les maquis de Saint Savin et Nalliers en juin 1944. On ne sait pas ce qu'il est devenu.

        • Germaine Limeul et Julia Picot perdent donc tout contact  avec Alliance et décident alors de rejoindre l'OCM, dont le responsable local est Guillaume Mercader, marchand de cycles et ancien champion cycliste bien connu.

        •  Jean Caby  subit  à son domicile une perquisition  allemande, sans résultat, suivie d'une convocation qui ne donne rien.

    • L'activité su secteur Jardin continue avant son coup d'arrêt définitif
    Malgré ces menaces, et une courte période d'inactivité, le réseau poursuivit activement sa mission dans le renseignement.
    Georges Thomine  avec Eugène Cauvin, un collègue manœuvre à Port,  recueille des informations sur le mouvement des vedettes ennemies.
    Jean Caby fait part de ses difficultés dans l'utilisation du poste de radio aussi reçoit-il l'aide de Pierre Dahlen "manchot".
     Robert Douin avec son fils Rémy âgé de 17 ans peaufine ses cartes  qu'il agrandit au 1/10.000°  (10 cm pour 1 km) en y précisant tous les emplacement des défenses militaires allemandes sur la côte ( batteries, mitrailleuses, champs de mines...) ainsi tout le secteur du  futur débarquement d'Omaha est parfaitement cartographié. Début 1944, le travail de cartographie de Douin est terminé : au final une carte de 17 mètres de long est remise à Marie-Madeleine Fourcade par Jean Roger Sainteny par l'intermédiaire de Jean Truffaut (Tadorne) agent de liaison les emporte par morceaux à Paris d'où ils repartent vers Londres

    Les infiltrations allemandes et la présence d'agents doubles (Leblond, alias Gilbert et Ganhubert, recrutés début mai 1944 comme opérateur radio et estafette) vont porter leur fruit.Les allemands continuèrent leurs investigations sous le nom de dossier "Alliance II". Une deuxième grande période de rafles s' engage. Elle commence en décembre 43 mais redouble d'intensité et gagne plusieurs régions de février à mai 1944, notamment Paris et l'Ile de France, avec 36 agents du réseau arrêtés, ainsi que Paul Bernard le 17 mars 44, chef du réseau à l'époque.


    Le 9 mars 1944 Tadorne séjourne chez Drouin et repart vers Paris ; le 14 mars 1944, Jean Truffaut alias "Tadorne", porteur de nombreux documents (plans sur Cherbourg et son arsenal, renseignements divers) et d'une somme de  3825 francs  est arrêté par les Allemands à Paris en compagnie d'autres agents de liaison.  Il est arrêté au moment ou il frappe à la porte de la concierge  Madame  Bourgeaux, lieu où sont entreposés de nombreux documents (liste et lieux  de rendez-vous des agents) qui sera  perquisitionné. Truffaut  va subir de terribles épreuves lors d'interrogatoires particulièrement violents.
    Les allemands peaufinent leur connaissances sur le secteur Ferme. En conséquence, le réseau  va subir en Normandie une répression impitoyable : tout le groupe Jardin sera arrêté. 

    Lire la suite dans l'article dédié => Les arrestations de  1944 du groupe Jardin du réseau Alliance

    Sources partielles et documents :
     -Exposition Réseau Alliance
    - Le réseau alliance de G Caraes Ed O-France