Les arrestations de 1944 des membres du Réseau Jardin d'Alliance

L'ensemble du groupe Alliance a connu en automne 1943 une vague d'arrestations au niveau national, surtout en Bretagne ; la Normandie ne fut pas touchée, toutefois Coulibeuf (Bison noir) de Formigny s'enfuit et disparaît... ainsi que Rodriguez dit Pie" (arrêté un peu plus tard).
Début mars 1944
, un peu partout en France,  se multiplient les arrestations (Paris, Lyon, Marseille, Laval, Bordeaux, Morbihan, Angers, La Rochelle...)
  • Le 14 mars 1944 la Gestapo organise un coup de filet important dans la région parisienne, en particulier,  Jean Truffaut "Tadorne" agent de liaison pour le Calvados et la Manche est arrêté  par la Brigade Spéciale d'Intervention, au moment où il frappe à la porte de Madame Bourgeaux, concierge de la rue Mandin.  Son arrestation est liée à la présence d'agents doubles, Leblond (alias Mandin) et Ganhubert, recrutés quelques jours avant comme opérateur radio et estafette. Truffaut est  en possession de documents importants et compromettants (plan de l'arsenal de Cherbourg) et d'une somme  de 3825 francs.  Des documents sont aussi retrouvés dans la loge de madame Bourgeaux. Truffaut  va subir de terribles épreuves lors d'interrogatoires particulièrement violents ; il sera  interné à Fresnes puis déporté N-N et exécuté le 1° septembre  1944.
    La série d' arrestations continue à Paris, Nantes et dans le Calvados. Rappelons que les archives allemandes montrent que,  depuis début 1943, ils connaissent, suite à la trahison d'Alamichel,  les alias, profession, lieu de résidence  des principaux responsables d'Alliance du secteur Jardin.
  •  le 17 mars 1944 une rafle dirigée par la Gestapo entraîne l'arrestation de

    •  Robert Douin, le chef départemental (chez qui était passé Tadorne le 9 mars) est arrêté par la Gestapo à Caen, accompagné du "collabo" Raoul André  près  du stade Hélitas.(sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Georges Thomine marin pêcheur de Port en Bessin  est arrêté par la Gestapo (sera exécuté le 6 juin 1944) ainsi que son fils  Georges âgé de  16 ans ( agent occasionnel) qui sera relâché un mois plus tard, faute de preuves.
    • Jean Caby de Villers Bocage avec sa femme Marcelle Caby (née marie, 26 ans en 1940, commerçante)   est arrêté par la Gestapo au 15 rue Pasteur à Villers Bocage (Jean Caby sera exécuté le 6 juin 1944, Marcelle sera libérée). Caby porte sur lui des documents compromettants.
    • Guy de Saint-Pol , 26 ans en 1940, cultivateur à Amayé-sur-Seulles est arrêté par  deux agents  de la Gestapo de Caen (sera exécuté le 6 juin 1944)
Dés le 18 mars un rapport allemand indique : 

Retranscription du 18 mars 1944 :  information d'arrestations

 Caen, le 18 mars 1944

Les personnes suivantes ont été arrêtées le 16.3.44 suite au télex du BdS N° 22097 :

DOUIN, Robert, né le 4.7.91 à Caen, domicilié à Caen, 33 rue de Geole

CABY, Jean, né le 8.12.11 à Paris, domicilié à Villers-Bocage

THOMINE, Georges, né le 25.6.06 à Port-en-Bessen, domicilié à Port-en-Bessin

SAINT PAUL, Guy, né le 22.3.14 à Curcy, domicilié à Amayé-sur-Seulles

Lors de l'examen physique de CABY des documents ont été trouvés qui indiquent clairement une activité au sein d'une organisation.

Tous les détenus nient fermement d'avoir déjà traité de l'espionnage.

Tous ont fait l'objet de recherches approfondies de leur domicile, mais sans succès.

Chef de service



Ils sont placés au secret, à l'isolement pendant  6 semaines. La Gestapo va les martyriser pour obtenir des renseignements. Les interrogatoires sont très violents, malgré tout  ils  parviennent à ne dire que le minimum, ce que la Gestapo sait déjà, en restant flou et imprécis. Leur résidence est fouillée  par la "La bande à Hervé",  des collaborateurs très violents, mais on ne trouve rien de compromettant.
Douin est aperçu dans les douches  par un autre détenu, celui-ci  explique qu''il marchait difficilement, le dos vouté, un bras cassé" et qu'il lui a dit : " Ne parle jamais !".
Jean Caby a a été tellement frappé qu'il se retrouve  à l'hôpital. sa femme Marcelle relâchée le 11 mai constate ses graves blessures  après avoir subi le supplice du casque. Heureusement à Villers ses amis Chiron et Lebaron avaient brulé les documents compromettants et fait disparaitre le poste émetteur.

A noter qu'au même moment d'autres arrestations se déroulent à Cherbourg et dans la Manche, avec des interrogatoires très violents à la prison de Saint Lô.



  •  Le 20 avril 1944

    •  Maurice Primault, boîte à lettres du réseau, est arrêté à Caen : un homme se présente à la quincaillerie et demanda à voir Maurice Primault pour un problème d’allocations familiales. Maurice ne se méfia pas, car il ignorait que l’homme était Daniel Collard, ancien résistant, devenu agent de la bande Hervé, groupe de collaborateurs du Calvados.  Il est emmené au siège de la Gestapo du 44 rue des Jacobins pour un simple interrogatoire qui se transforme, aussitôt arrivé, en violences. (sera exécuté le 6 juin 1944)

Pourquoi de nouvelles arrestations ? difficile de savoir. Il semble que les renseignements seraient venus de Paris  puisque l' arrestation d'A De Touchet  fait suite  à l'arrestation à Paris d'un agent de  liaison porteur d'une lettre.

  • le 28 avril 1944 

    • Le  Commandant Antoine de Touchet, 54 ans en 1940, commandant en retraite est arrêté avec son cousin Jacques à 17H 15  place Saint Sauveur à Caen par un agent de la Gestapo  accompagné d'un membre de la bande à Hervé,  Serge Fortier.  Ils sont aussitôt incarcérés à la maison d’arrêt de Caen. Jacques sera relâché le 11  mai (son frère, Antoine sera exécuté le 6 juin 1944)


  • Le 4 mai 1944
     Une vaste opération est menée dans le Bessin par la Gestapo de Caen accompagnée de Daniel Collard et Bernard Desloges, membres de la  Bande  à Hervé.
    • René Loslier  de Jurques est arrêté à  7H heures du matin par "Albert" accompagné des collaborateurs Desloges, Collard. Sa femme  Laurence reconnait Collard natif  de Clinchamps,  même village qu'elle.  (sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Ernest Margerie  d'Anctoville est arrêté par "Albert" accompagné des collaborateurs Desloges, Collard  (sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Marcel Chiron, 45 ans en 1940, quincailler à  Villers-Bocage est arrêté par la même équipes (sera libéré)
    • Julien Thorel, 29 ans en 1940, négociant en grains à Villers-Bocage est arrêté par la même équipe de collaborateurs (sera libéré)
    • André Aubin, 38 ans en 1940, négociant en produits agricoles, Villers-Bocage ; membre de l'OCM, st arrêté par une équipe de collaborateurs. Sera interné à la maison d'arrêt de Caen jusqu'au 12 mai, accusé d'être en contact avec Caby puis déporté au camp d'Aurigny. Il parvient à s'évader lors d'un transport vers Paris, le 4 août 1944.
    • Jean Lebaron 39 ans en 1940, agent d'assurances à Bayeux est arrêté à son domicile  par la même équipe  devant son épouse Suzanne  (sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Marcel Marié  34 ans en 1940, cultivateur à Epinay-sur-Odon arrêté à sa ferme (sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Joseph Langeard  31 ans en 1940, cultivateur à Villy-Bocage  est arrêté par la même équipe de collaborateurs  devant son épouse Marie Jeanne (sera exécuté le 6 juin 1944)
    • André Robert  25 ans en 1940, cultivateur à  Longvillers qui porte une jambe de bois suite  à un accident de moto  est arrêté devant ses parents par la même équipe de collaborateurs (sera exécuté le 6 juin 1944)
  • Le  5 mai 1944
    Le lendemain après midi l'opération se continue sur le littoral du Bessin.
    • Désiré Lemière arrêté vers 17heures lors de la fin de sa tournée à vélo par une voiture noire. Il est autorisé  à passer chez lui se changer devant son épouse et ses trois enfants [lire le témoignage de sa fille] (sera exécuté le 6 juin 1944)
    •  Charles Olard, le receveur de la poste de St Laurent est aussi arrêté. Il n'appartient pas au réseau Alliance mais connait parfaitement  tous ses membres. (sera libéré)
      [selon J Quellien le premier arrêté est Olard  puis D Lemière ]
    • Albert Anne, 36 ans, le forgeron d' Asnières est arrêté à son domicile devant sa femme  Alberta(sera exécuté le 6 juin 1944)
    • Robert Boulard, le facteur de Trévières  est arrêté dans l'après midi  à son domicile devant son épouse Angélique et ses enfants alors qu'il rentre de sa tournée. (sera exécuté le 6 juin 1944)
      et
    • Auguste Duval, 34 ans en 1940, boucher  à Ouistreham  au 2 avenue M Cabieu, est arrêté devant ses clients par "Albert" et Collard (sera exécuté le 6 juin 1944)
Tous sont internés à la prison de Caen où ils sont régulièrement extraits de leur geôle, pour être interrogés, sous la torture, rue des Jacobins.

En fait,  ce sont des français, "La bande à Hervé", collaborateurs, membres de la gestapo qui assistent la Gestapo pour arrêter les résistants. Les interrogatoires de la Gestapo sont terribles,  les résistants sont torturés  et soumis  à des conditions très difficiles.

Dés le lendemain , un rapport officiel allemand  est réalisé:

ARCHIVE traduite datée du 6 mai 1944, le lendemain des dernières arrestations sur la côte.



                                            Caen, le 6 mai 1944

1- Note:

Sur la base des interrogatoires des ressortissants français arrêtés dans la présente affaire,
notamment le DOUIN et le GABY, les personnes suivantes ont également été arrêtées dans la
période du 28 avril au 4 mai 44 sur de fortes présomptions d'espionnage ou d'appartenance
à un groupe de résistance :


1. De TOUCHET, Antoine, né le 3.2.86 à Paris , domicilié à Caen, 15 place de Sauveur

2. LOISEL, Octave, né le 7.3.94 à Cahagnes, domicilié à Cahagnes

3. COSLIER, René, né le 20/03/13 à Caen, domicilié à Jurques

4. LANGEARD, Josephe, né le 6/2/O9 à Sermentot, domicilé à Villy-Bocage

5. CHIRON, Marcel, né le 26/1/95 à La Bouesière, domicilié à Villers-Bocage

6. THOREL, Julien, né le 16/11/11 à Landes s/Ajon, domicilié Villers-Bocage, 29 rue

Pasteur

7. AUBIN, André, né le 15/11/03 à Villers›Bocage, domicilié à Villers-Bocage, 1 rue

Pasteur

8. LE BARON, Jean, né le 21/8/01 à Bayeux, domicilié à Villers«Bocage, Place de Marché

9. ROBERT, André, né le 21/9/19 à Neuvoines, domicilié à Longvilles

10. MARIE, Marcel, né le 19/5/06 à Paris, domicilié à Epinay s/Odorn

11. OLARD, Charles, né le 2/9/02 à Pleugueneue, domicilié à St. Lorent s/mer

12. LEMIERE, Desiré, né le 9/11/97 à Louvieres, domicilié à Villerville, rue de Port-en-

Bessin

13. ANNE, Albert, né le 23/8/08 à Lannieres-en›Bessin, domicilié à Lannieres-en-Bessin

14. DUVAL, Auguste, né le 29/5/06 à Ronville la Place, domicilié à Ouistreham

15. BOULLARD, Robert, né le 15/11/00 à Caen, Frevieres






BILAN :  21 arrestations dans le Bessin 

 -4 seront libérés : Charles Olard (non membre Alliance) , Marcelle Caby (épouse membre Alliance) Julien Thorel,   Marcel Chiron.  Ces personnes n'appartiennent pas  au réseau Alliance, mais elles  en sont proches pour diverses raisons (voisins, amis, famille, collègue...)  Le cas de Charles Olard pose problème, il est rapidement  relâché par les allemands d'où une suspicion sur son attitude, à tort ou à raison, rien n' a jamais été prouvé, dans un sens ou dans un autre

- André Aubin, (membre du réseau OCM) est déporté à l'île d'Aurigny.

- 16  résistants seront fusillés le 6 juin à la prison de Caen, dont les résistants du groupe de Saint Laurent -Trévières-Vierville : Désiré Lemière de Saint Laurent, Robert Boulard facteur à Trévières, Albert Anne d'Asnières.


Comment expliquer les arrestations ?  Les explications sont diverses et se croisent :
-1943: suite à la trahison d'Alamichel, les les archives allemandes montrent qu'ils connaissent les alias et profession des principaux  responsables d'Alliance, secteur Jardin. La Gestapo va approfondir ses recherches avec l'appui des collaborateurs pour identifier formellement les résistants.
-mars 1944 à Paris :Présence d'agents doubles, Leblond (alias Mandin) et Ganhubert, recrutés quelques jours avant comme opérateur radio et estafette. Il en existe d'autres...
- Nombreuses arrestations de membres d'Alliance et d'agents de liaison à Paris  avec apport de documents. Le réseau Alliance a subi dés 1941 des vagues d'arrestations qui se sont sans cesse renouvelées.


  • Arrestations : le témoignage de Simone Lemière
Le 5 mai 1994, Simone Lemière, âgée de 17 ans, trayait le vaches avec sa mère lorsque :

"De ma fenêtre, j'ai vu la traction s'arrêter devant notre ferme. Papa en est descendu, accompagné par les deux types de la " Gestapo ". Il a appelé maman. Ils sont entrés dans la maison. On tremblait de peur. Le poste de TSF était simplement caché dans une armoire, recouvert d'une couverture. Papa était toujours à l'écoute de la BBC. Souvent, il revenait chez nous, aux environs de minuit. Sans cesse, il nous répétait la même excuse: j'ai bu un coup chez un tel. Bien plus tard, nous avons compris que Papa ne voulait pas nous mêler à ses activités, pour nous protéger en cas de coup dur. Papa s'est débarbouillé sous le regard indifférent d'un des types de la " Gestapo ". L'autre surveillait les alentours, debout devant l'entrée. Maman était figée, ne comprenant rien à cette arrestation. Papa était très calme. Il l'a rassurée, lui disant qu'il serait très vite de retour. La gestapo ne lui a pas permis de dire au revoir à ma sœur et mon frère, ils avaient 14 ans et 3 ans, et ils étaient à la fenêtre quand Papa est reparti, ils pleuraient. Puis, ils sont tous remontés dans la traction et sont partis en direction de Caen.
On ne savait rien des activités de notre père. Il s'en allait souvent à vélo, le soir, c'est tout. Dans la journée, il était facteur, en plus de son travail à la ferme, un complément indispensable, on ne pouvait plus mettre les vaches dans les champs à cause des mines.

Les semaines qui suivirent furent affreuses. Aucune visite n'était autorisée, mais, Monsieur Etasse, de Saint-Laurent, chaque semaine, allait en vélo à la prison y déposer du linge propre et maman y glissait des galettes. Je ne sais pas très bien comment, mais maman a reçu des lettres de mon père, griffonnées sur des bouts de papier. Il conseillait à ma mère de les brûler après les avoir lus. Sur l'un d'eux, il expliquait que des plans de champs minés étaient encore dans notre maison (que l'on a jamais retrouvés)

Périodiquement, on le transférait rue des Jacobins. Là, il était torturé. On raconte qu'à chaque sortie de cette odieuse maison, "le sang lui pissait au bout des doigts ! ". Le 7 juin, les américains sont arrivés. Nous attendions toujours le retour de papa, mais n'avions plus aucune nouvelle. Puis Caen fut libéré, mais papa ne revenait toujours pas... On y croyait tous les jours, avec la Libération il pouvait revenir d'un moment à l'autre

Ce n'est qu'au mois de septembre que maman, mon petit frère, ma sœur et moi, avons reçu la visite d"un officiel nous annonçant son exécution, survenue le matin du 6 juin 1944. Il mourut dignement pour la France, ainsi que Georges Thomine, Albert Anne et Robert Boulard. Même après l'annonce officielle de sa disparition, par écrit, nous avons continué à y croire, il pouvait être parti à l'étranger...
Un service religieux a été célébré en la mémoire de papa le 24 septembre 1946 à Louvières, sa commune de naissance. Son nom sera gravé sur le monument aux morts de St-Laurent et de Vierville, une rue de St-Laurent lui sera dédiée. Mais jamais son corps ne sera retrouvé, ni ceux des autres fusillés de la prison, pourtant des prisonniers de Caen ayant témoigné au procès des responsables de la fusillade ont indiqué que la rotation des camions emmenant les corps avait été courte, ils ont peut-être été enterrés pas très loin de la prison…"



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