Collaboration et Répression

Beaucoup d''arrestations...

L'année  1944  fut difficile dans le Calvados, le débarquement étant imminent, espéré par les uns et redouté par les autres,  les tensions sont exacerbées. Les occupants sont nerveux et doivent faire  face à des difficultés qu'ils règlent avec autorité en abusant de l'emprisonnement alors  que les geôles sont déjà pleines.

 L'occupant doit achever ses défenses rapidement, constructions de blockhaus, défenses diverses sur le littoral. Pour accélérer, ils contraignent les habitants à y travailler de force. Evidemment on manque d'ardeur, on ne se dépêche pas, on sourit...mais gare à son attitude, car on est vite envoyé en prison pour  des mots ou gestes déplacés, une maladresse volontaire.

Les jeunes requis par le STO sont désormais plutôt envoyés travailler sur les chantiers Todt  du mur de l'atlantique, aussi beaucoup se défilent. Début  1944, dans le Calvados,  plus des trois quarts n'ont pas répondu à l'appel de réquisition, et, donc, se cachent dans les campagnes. Ces nombreux réfractaires, eux aussi, pourchassés ont besoin de l'aide de la résistance (cache,  faux papiers, carnets d'alimentation...)

 De plus, certains résistants "terroristes" n'hésitent plus à s'en prendre aux collaborateurs notoires  qui sont supprimés. 

Aussi début  1944, face à un afflux  de difficultés  dans une ambiance délétère,  les arrestations suivies d'emprisonnement sont  fréquentes.  Une rafle,  une dénonciation, une  erreur, un petit trafic, être voisin, ami ou  de la famille d'un résistant... tout un chacun peut, à tout moment  être arrêté, emprisonné et déporté. Les arrestations se multiplient surtout vers la résistance qui subit une terrible répression, mais aussi, à un moindre niveau, chez l'occupant et ses soutiens en raison des nombreuses rivalités qui existent parmi  les  collaborateurs, les fonctionnaires de Vichy,  les auxiliaires français de la Gestapo, les services d'espionnage allemands.

Ainsi en juin 1944 les prisons normandes sont pleines, mais qui procèdent aux arrestations et aux interrogatoires ?


La  répression allemande (Voir le Glossaire)

Au début de l'occupation,  c'est la Wehrmacht (armée allemande), avec son service de contre espionnage l'Abwehr et  sa police militaire (GFP pour Geheimefeldpolzei) qui lutte contre la résistance.

Très vite, la relève est prise par les SS d'Himmler et ses divers services de sécurité, en particulier, les services de police et de renseignement (Sipo pour Sicherheitpolizei et SD pour  Sicherheitdienst) et la Gestapo (ensemble des forces de police en SS en France). Ensuite les kommandos Sipo-Sd,  chargés   de mener la répression, prolifèrent, ainsi une antenne s'installe  44 rue des Jacobins à Caen dés  juillet 1942 avec une douzaine d'hommes 
-dirigés par l'untersturmführer Henrich Meier dit "Henri"  policier professionnel et ancien membre de la Gestapo d'Hambourg
-son adjoint l'Hauptscharführer  Harlad Heins dit "Bernard" (qui en prendra la direction en février 1944). Il parle couramment français.

Une vingtaine de membres compètent l'équipe:

                                                                                                                                                                 

- Herbert von Bertholdi, "Albert", appelé aussi le " policier mondain ".
- l'athlétique Herman Seiff,
-Xavier Wetter dit "Walther", homme au regard fiévreux et peu rassurant,
- Karl Melhose,
- Helmut Althaus, ancien policier de Dortmund,
- Joseph Hoffman,
- Berger,
- Kurt Geissler,
- les chauffeurs: Max Kramer dit "Gueule d'acier", Eric Bartels, Heinrich Michaeliss,
- Karl Ludwig et Maurer, le cuisinier du groupe, tous les deux anciens membres de la GFP de Rouen.
-L'équipe est renforcée quelque temps plus tard par l'arrivée de Karl Zaumseil, dit" Charles ", professeur d'histoire à Magdebourg, et dont la correction contraste avec la singulière brutalité de ses collègues.


 Ils vivent dans une belle demeure au bord de l'Orne et y mènent une vie agréable et fréquentent des  établissements complices comme "la vielle Hostellerie pour y rencontrer celles qui deviendront leur maitresse.

A leur coté des "agents français" collaborateurs  (Brière, Vail...) qui trafiquent  et organisent le marché noir dont profitent leurs amis allemands. Désormais la chasse aux résistants prend de l'ampleur et nécessite l'aide de français afin de faciliter l'obtention d'informations et l'infiltration des réseaux. Ainsi se constitue une nouvelle équipe avec de nouveaux venus qui vont constituer la sinistre "bande à Hervé".

                                               

La collaboration 

Il faut d'abord rappeler que le chef de l'Etat, en 1940, a posé le principe de la collaboration officialisée avec la rencontre Pétain-Hitler le 22 octobre 1940 qui se résume par la voix de Pétain :  : "J'entre dans la voie de la collaboration...Suivez moi". 
Comme partout, dans le Calvados sont présents divers  mouvements collaborationnistes qui  incitent à une "collaboration loyale et active", on y adhère surtout  par fidélité à Pétain, anticommunisme,  extrémisme de droite mais aussi certaines personnes par intérêt personnel afin d'en tirer  un avantage (faciliter le  marché noir  pour s'enrichir ou obtenir le retour d'un prisonnier). La  collaboration pouvait avoir différentes formes qui s'entrecroisaient:  politique, économique, charitable, policière.

- "PPF" (Partie Populaire Français)  Doriot créé dés 1936 par Doriot , mais présent et actif dans le Calvados  à partir de  1941. C'est un parti de type fasciste  lié au pétainisme avec peu d'adhérents (100 à 200 maximum) recrutés essentiellement dans la bourgeoisie urbaine de Caen. Ce parti fut relativement effacé pendant la guerre mais certains membres furent très actifs dans la répression (Bande à Hervé).

-"RNP" (Rassemblement National Populaire) créé en 1941 par Déat fut le groupe le pus important  (maximum de  500 personnes) et le mieux  organisé   du Calvados, surtout implanté à Caen et dans le Pays d'Auge. Sa ligne politique néo-socialiste  et collaborationniste imaginait une Europe nazie unifiée. Il fait beaucoup de propagande (affiches, presse, tracts, films de propagande... ),crée des syndicats et connait un certain succès, ainsi à Bayeux un film de propagande accueille 400 spectateurs, venus par idéalisme, curiosité ou intérêt.

-"Collaboration" de Chateaubriand créé en 1940 regroupe des intellectuels et des bourgeois cultivés, conservateurs, qui se réclament de Pétain. Il compta un maximum de  300 adhérents qui assistaient a des  conférences. S'il était assez bien implanté son influence fut réduite


-"MSR" (Mouvement Social révolutionnaire) créé en 1940 était d'inspiration fasciste et plutôt collaborationniste que purement vichyste. Ses militants, peu nombreux,  liés à la Gestapo comme le  Raoul Hervé,  ont   particulièrement aidé la Gestapo. 

D'autres petits mouvements  plus ou moins éphémères  existèrent.  Il existe aussi  des  organismes d'entraide  tel le COSI ( Comité Ouvrier de Secours Immédiat)  qui aide les sinistrés des bombardements mais son action est  possible  uniquement grâce à  'la générosité des autorités occupantes... qui remettent de l'argent prélevé sur les capitalistes juifs" et il est  largement soutenu et infiltré par le RNP.

La LVF (Légion des volontaires français)  créée en 1941,après  l'invasion de l'URSS par l'Allemagne est soutenue par les partis collaborationnistes  (RNP, PPF MSR..) recrute, très difficilement, des soldats français  pour combattre avec les Allemands. Des permanences s'ouvrent dans les principales villes (Caen, Bayeux..) pur faire  de la propagande. Les rares recrutés furent attirés par le gain de la solde :  un soldat célibataire touche 1 200 francs par mois (un ouvrier gagne environ 650 francs par mois), 2 400 francs s'il est au front.

 En  1943, Laval et Darnand créent la "Milice" mais elle n'arrivera dans le Calvados qu'en  juillet 1944. 


La "bande à Hervé"

La collaboration policière  est totalement différente car il s'agit d'une collaboration  totale  d'agents français, des collaborationnistes , au service de la  police allemande, et donc particulièrement dangereuse et efficace. Les membres, assez peu nombreux, sont le plus souvent à plein temps et rémunérés.  



Un des chefs du Collaborationniste  dans le Calvados, Julien Lenoir,  fonde  à Caen le groupe  "Collaboration" dés 1941 qui propose rapidement d'aider  le Sipo-SD de Caen. Toutefois, la Gestapo trouvant Lenoir un peu trop connu cherche un responsable moins repérable, ce sera Raoul Hervé, un homme au passé tumultueux qui se prétend ancien officier de l'armée et spécialiste de la "propagande vichyssoise" via le CIR ( Centre d'Information et de renseignement) implantée rue Saint Jean à Caen. Il constitue fin 1943 une équipe d'un vingtaine de personnes déterminées  à lutter contre les ennemis de Vichy et du troisième Reich  composée de jeunes gens  rétribués 1956 francs par mois par les allemands de la "Propagandastaffel".

Les plus actifs:

-Serge Fortier un jeune catholique réactionnaire adhérent du PPF très actif
-Jean Laronche, ami de Fortier,  un nazi fanatique qui a le portrait d'Hitler dans sa chambre.
-Pierre Bernardin membre du PPF et qui travaille pour l'organisation Todt
-Gilbert Bertaux, un marin démobilisé, un homme brutal.
-Bernard Desloges dit "le gros Charles" qui chasse les réfractaires.
-Daniel Collard, ancien résistant du groupe Hector démantelé en 1941,  tombé amoureux de la secrétaire d'Hervé et  et recruté en au printemps1944 ( alors que son frère et toujours résistant).

Les autres  sont issus des divers mouvements collaborationnistes (RNP, MSR,  Collaboration, LVF..)

La "bande à Hervé" effectue essentiellement du "renseignement"  en utilisant l'infiltration en se faisant passer pour réfractaire ou résistant. Des décembre 1943 des dizaines d' arrestations  se multiplient dans la résistance du Calvados ((FTP, Front National,  OCM..). En  février 1944, avec le retour de "Bernard" comme chef du Sipo-Sd de Caen, la  "bande à Hervé" se voit attribuer le droit d'arrêter et  et d'interroger les prisonniers, désormais les membres ont une carte officielle délivrée par la Sipo-SD : carte "A" pour "Action"  (les proches d'Hervé) et "R" pour renseignement pour les nombreux informateurs.  Désormais la bande va multiplier les arrestations et interrogatoires.

La chasse aux réfractaires s'intensifie avec des opérations importantes, rafles et barrages  permettent d'arrêter des dizaines de jeunes. Ils démantèlent divers groupes de résistants;  le réseau "Alliance" en mars 1944, ales réseaux "Zéro-France" et "Cohors-Asturies" en avril, enfin, en juin, le groupe "docteur Derrien" à Argences.

 Désormais, rue des Jacobins, officie cette bande qui n'hésite pas  à  brutaliser, infliger  sévices avec "nerf de bœuf" et tortures aux personnes arrêtées qui surpassent en cruauté leurs amis allemands. Les rares témoignages nous glacent : les sévices durent plusieurs jours et sont d'une extrême brutalité, on va jusqu' a  ranimer à l'eau froide ceux qui s'évanouissent. Ainsi Hervé doit modérer Fortier et lui dit lors de l'interrogatoire de  Pierre Fournier d'Ouistreham :
-Ne tape pas comme ça sur la tête, Il ne faut pas le tuer avant qu'il parle...
-Pour ces chiens là, ça n'a pas d'importance.

On est prêt à tout, quel que soit la victime (lycéens, curé...), pour obtenir des aveux.

Si pour beaucoup la collaboration fut un moyen de s'enrichir ou de tirer un profit personnel  de manière relativement confortable en s'accommodant de l'occupation sans parfois  réaliser  qu'il s'agissait d'une trahison, pour quelque uns ce fut l'occasion d'infliger les pires sévices et tortures aux personnes arrêtées.

Que sont devenus ces collabos tortionnaires ?

Liberté de Normandie du 10 mars 1946

"Ils ne paraissent pas fatigués par l'audience de la veille. Sur leurs visages, nulle trace d'insomnie. On demeure confondu devant 1e cynisme et l'insouciance de ces jeunes hommes qui ont l'air plutôt d'étudiants en goguette que d'authentiques criminels. Jacques Brotot affiche toujours le même détachement des choses de ce monde. Daniel Collard s'entretient fréquemment avec son avocat et semble trouver sa cause excellente. Desloges, plus lourdaud, à l'air gêné aux entournures et Fortier fait de plus en plus chef de bande. "

Le 14 mars 1946,le verdict tombe. Serge Fortier, Daniel Collard et Bernard Desloges sont condamnés à la peine capitale, à la grande joie de l'assistance. André Martin et Jacques Brotot sont condamnés à vingt ans de travaux forcés. La peine capitale est prononcée par contumace à l'encontre de Raoul Hervé. Jean Laronche. Pierre Bernardin. Henri Léon et Joseph Martine.
Le 9 mai 1946, Daniel Collard, Bernard Desloges et Serge Fortier sont fusillés  dans la cour de la prison. 

Raoul Hervé :  retrouvée en 1950, à Clichy-sous-Bois, sous le pseudonyme de Merver et incarcéré à Fresnes. Se fait passer pour un grand malade et obtient 9 fois le report de son procès. Jugé en 1956, il joue la sénilité, il échappe à la peine de mort, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Bénéficiant de remises de peine et de la grâce du président de la République, il sortait de la prison de Périgueux le 24 mars 1958.après 2 ans de prison. Meurt en 1963 en Corse.

Pierre Bernardin :  arrêté au Laos, où il servait dans la Légion étrangère. Rejugé à Paris en janvier 1950. Condamné à 20 ans de travaux forcé et obtiendra sa liberté conditionnelle dès le 9 août 1952.
Henri Léon
Jean Laronche et Joseph Martine ont été exécutés par la résistance  en 1944.(ce qui était ignoré lors du procès de 1946)

Gilbert Bertaux engagé des SS, rapatrié en France,  fut démasqué et jugé en 1946, il fut exécuté.

H Heins "Bernard" chef de la Gestapo,  arrêté en 1945, jugé en 1948, s'échappe  pendant le procès et disparait à tout jamais.

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